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Les oubliés du chiffre du chômage

28 octobre 2012 Thierry 0 Comments

SOCIAL • Chaque mois, des chômeurs en fin de droit sortent des statistiques. D’autres n’y entrent jamais. Que cachent les chiffres?

En pleine réorganisation, l’Office cantonal de l’emploi (OCE) a du retard dans l’enregistrement des nouveaux chômeurs. Retard qui a fait baisser artificiellement le taux de chômage à 4,7% (-0,1%) en septembre. En réalité, entre 600 et 800 personnes s’ajoutent aux 11 068 autres chômeurs du canton. Mais au-delà des soucis de l’OCE, il y a les oubliés des chiffres du chômage. Certains n’y sont jamais entrés, d’autres en sont sortis pour rejoindre le monde du travail, l’AVS, l’AI ou l’aide sociale. Pis, lorsqu’ils quittent l’assurance-chômage, un bon nombre d’entre eux disparaissent «dans la nature» sans laisser de traces. Sans compter tous ceux qui ne travaillent qu’à temps partiel et qui ne sont pas pour autant inscrits comme demandeurs d’emploi. Combien sont-ils vraiment? Qu’advient-il des personnes qui sortent des statistiques?

L’impact de la Laci
L’entrée en vigueur conjuguée de la quatrième révision de la Loi sur l’assurance-chômage (Laci), le 1er avril 2011, et de la nouvelle loi cantonale sur l’insertion et l’aide sociale individuelle (Liasi), le 1er février 2012, pourrait avoir diminué de façon trompeuse les chiffres du chômage. La Laci a drastiquement réduit les droits des chômeurs, notamment en rendant l’accès aux prestations plus difficile. La Liasi, quant à elle, a sonné le glas du Revenu minimum cantonal d’aide sociale (RMCAS). Avec pour résultat le transfert de chômeurs en fin de droit vers l’Hospice général. A l’époque, la gauche avait alerté sur ce transfert de charges de l’assurance-chômage à l’aide sociale.
Aujourd’hui, ce report est difficile à chiffrer, mais quelques pistes se dessinent. Du côté de l’Hospice général, on annonce une hausse du nombre de dossiers de 32% en trois ans. Et Thierry Apothéloz, conseiller administratif de Vernier, estime que les effets de la Laci sont responsables d’un tiers de la hausse. Autre conséquence: le chômage des jeunes a baissé, parce que l’accès aux prestations a été rendu plus difficile. Le plus souvent, ils ne peuvent pas demander de l’aide à l’Hospice général, le revenu des parents étant pris en compte.
En 2011, seuls 16% des personnes sorties de l’OCE se sont redirigées vers l’Hospice général, sachant que les critères d’admission y sont plus strictes. Celles-ci ont pu bénéficier, après un stage d’évaluation de quatre semaines qui détermine si le candidat est employable ou non, des emplois de solidarité et des allocations de retour à l’emploi, notamment. A fin août 2012, quelque 2394 dossiers entraient encore sous le coup du RMCAS, qui sera définitivement aboli en août 2014.

Ceux qui n’osent pas
Autre embûche pour les chômeurs en fin de droit: leur «fortune». S’ils ont plus de 4000 francs, par exemple une voiture, ils doivent les avoir épuisés avant de pouvoir se représenter à l’aide sociale.
Par ailleurs, une frange de la population aurait droit aux prestations mais ne les sollicite pas. Plusieurs explications sont possibles. Pour le coordinateur de l’Association de défense des chômeurs (ADC), Stéphane Der Stepanian, «l’image des chômeurs reste négative. L’étiquette peut en accabler certains. Et en ce qui concerne l’Hospice, la situation est encore pire: on demande aux gens de baisser leur pantalon». Les employés de banque récemment licenciés sont également réticents à faire appel à l’OCE: «Grâce à leurs salaires, ils peuvent se le permettre, pour un moment».
Les chiffres à disposition concernent les personnes qui demeurent dans les rouages de l’aide étatique. Or, un certain nombre d’entre elles disparaissent de toutes les tabelles, pour plusieurs raisons. Certaines retrouvent un emploi sans le notifier. D’autres quittent le canton, voire le pays. Et les autres? Elles se débrouillent, vivotent grâce à la solidarité familiale. Cela concernerait environ un tiers des 1600 personnes (chiffre de septembre) qui quittent le chômage chaque mois. Notons tout de même qu’elles peuvent réapparaître dans le système à tout moment.

«Repenser notre filet social»
Le recensement de la population résidente permanente de l’Office fédéral de la statistique de 2010 fait état de quelque 6394 personnes à Genève qui ne touchent pas de revenu et qui ne sont ni en formation, ni homme ou femme au foyer. Parmi celles-ci, on retrouve certainement une population qui passe outre les mesures sociales. «Il faut absolument repenser notre filet social, réagit Thierry Apothéloz. Nous devons récupérer un maximum de gens qui ont besoin de soutien. Trop d’entre eux passent au travers des mailles, qui s’agrandissent toujours davantage. Pour preuve, Caritas annonçait la semaine dernière que la Suisse comptait un million de pauvres.»

In Le Courrier / 27.10.2012

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