• Home
  • L’aide sociale coûte trop cher ? Essayez donc la misère

L’aide sociale coûte trop cher ? Essayez donc la misère

27 décembre 2012 Thierry 0 Comments

Dans une interview de la Tribune de Genève du 12 décembre 2012, Isabel Rochat a déclaré que l’aide sociale «coûte de plus en plus cher».

En tant que politicienne de droite, Mme Rochat reproduit le schéma habituel de sa famille politique qui consiste à blâmer les plus précarisé-e-s pour des coûts en augmentation. Mais elle se trompe assurément de cible. Les coûts augmentent car la précarité augmente: + 40% de personnes à l’aide sociale en cinq ans, les services sociaux communaux et associatifs, comme le CSP et Caritas, explosent. Dans le domaine de la petite enfance, les professionnel-le-s constatent aussi une hausse significative du nombre d’enfants à défis.

Ce n’est pas en diminuant les prestations qu’on diminuera les coûts de l’aide sociale durablement. C’est en diminuant les personnes à l’aide sociale. Irréaliste? Non, ce qui irréaliste est de laisser des personnes dans le besoin: Genève le paie tous les jours, et devra le payer dans le futur si rien ne change.

Il faut commencer par faire le bilan du social à Genève

En matière de protection des plus démunis, ces dernières années ont été catastrophiques. Dès 2008, avec l’adoption de barèmes spéciaux pour les jeunes (entre dix-huit et vingt-cinq ans), on poussait tout simplement ceux-ci vers la misère, la rupture de formation, tant les montants attribués de manière inique les mettent en dessous du minimum vital. Aucune mesure passerelle ou transitoire, aucune volonté de pousser les jeunes en rupture à se former autrement qu’en diminuant leur droit à l’assistance.

L’année dernière, un nouveau pas a été franchi avec la suppression du RMCAS, qui permettait jusqu’alors aux chômeurs de longue durée de bénéficier d’un régime différencié de celui de l’aide sociale. L’argumentaire fallacieux des partisans de cette réforme qui consistait à dire que ce dispositif n’avait jamais apporté les résultats escomptés lors de sa mise en œuvre se gardait bien de dire que, jamais, on avait donné à celui-ci les moyens d’assurer une insertion durable de demandeurs d’emploi qui en bénéficiaient. Or, aujourd’hui, après une période prolongée de chômage, on tombe directement à l’assistance publique, avec toute la dimension stigmatisante qui accompagne celles et ceux qui en bénéficient et sont néanmoins encore à la recherche d’un emploi.

Il est donc nécessaire d’établir un réel diagnostic à Genève. Les Socialistes avaient écrit une motion visant à la création d’un observatoire cantonal. Hélas, nous connaisons tous le sort de cette motion. Heureusement, Charles Beer et David Hiler ont crée avec l’Université de Genève le centre d’analyse territorial des inégalités (CATI GE) pour objectiver la montée de la précarité dans notre canton. Le constat est sans appel: Genève plonge dans les inégalités.

Il n’existe plus aucun projet pour combattre l’exclusion à Genève

Mais plus grave est le discours servi par Madame Rochat: il ne propose aucune piste, aucune solution, aucun moyen concret de combattre la précarité dans notre canton. Les chiffres du chômage restent stables: + 0.1 % en dix ans, contrairement aux affirmations de la magistrate, qui se gargarise d’une baisse! Mais ce sont surtout les chiffres de l’aide sociale qui prennent l’ascenseur puisque jamais l’Hospice général n’a eu à traiter autant de dossiers. Plus de 40% en 5 ans. Genève est devenue une machine à fabriquer de l’exclusion! Malgré cela, Mme Rochat parle de baisse des coûts de fonctionnement qu’il faudra prévoir ces prochaines années. Au détrimer des personnes à l’aide sociale bien sûr, comme si la surcharge connue par l’Hospice Général allait permettre à cette institution de faire face à un afflux massif de situations.

Au sein du Département de la Solidarité et de l’Emploi (DSE), quasi tous les cadres issus du travail de terrain sont partis pour subsister que des gestionnaires. Mme Rochat abonde par une froide logique comptable: l’aide sociale coûte de plus en plus cher. Parce que la misère, selon elle, a un prix?

Investir massivement dans l’action sociale, dans l’éducation, dans la formation, pas dans l’assistance

Si on veut faire diminuer la précarité à Genève, des solutions existent. Certaines sont audacieuses, comme le salaire minimum, d’autres sont plus pragmatiques et pourtant faciles à réaliser: augmentation massive des contrôles du travail, augmentation des conseillers en insertion, mise à disposition d’appartements à loyers modérés (dont l’Hospice est un important propriétaire), favoriser les emplois des jeunes, améliorer grandement la formation professionnelle continue et qualifiante, transformer les barèmes en bourses pour la formation, agir avec les entreprises locales et l’économie sociale et solidaire, investir dans la petite enfance et l’éducation Et ce ne sont que quelques exemples, il y a tant de choses à faire.

Pour lutter efficacement contre la précarité et le chômage, il faut une politique volontariste, engagée, audacieuse. Bien sûr que cela coûtera de l’argent. Mais ce ne sont pas des dépenses, ce sont des investissements. La cohésion sociale a certes un prix, mais je peux assurer Madame Rochat que celui-ci est bien inférieur au prix de la misère, de la précarité et de l’exclusion.

leave a comment