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Epicerie solidaire : l’article de la Tribune de Genève

18 décembre 2008 Thierry 0 Comments

Tout à 1 franc: une épicerie pour les travailleurs pauvres de Vernier

MARC GUÉNIAT | 16.12.2008 in Tribune de Genève

Ils sont anonymes. Souvent, ils se situent juste au-delà des barèmes prévus par des lois trop rigides. L'un des assistants ­sociaux de la commune de Vernier ne s'occupe-t-il pas d'une personne ne touchant pas l'aide sociale pour 5?fr.?40? Cela s'appelle un «effet de seuil».

Souvent, ils travaillent, et rament pour payer les factures et acheter de quoi se nourrir. Parfois, ils sont à l'assurance invalidité, suite à un accident, dont les séquelles interdisent de reprendre le métier qu'ils pratiquaient. Leurs trajectoires sont naturellement toutes différentes.

Ils ont cependant un point commun: depuis octobre, ils se rendent tous les jeudis après-midi à la nouvelle épicerie solidaire de la route d'Aïre.

Munis d'une carte d'accès, ils achètent, pour un franc symbolique, pâtes et riz, fruits et légumes, parfois un peu de viande et des produits d'hygiène.

«En étudiant les budgets des personnes, nous avons constaté que l'alimentation occupe une part de plus en plus grande du revenu», expose Jocelyne Carruso, assistante sociale. En germe depuis fin 2007, l'idée a séduit le magistrat Thierry Apothéloz. D'autant que, la permanence étant assurée par des bénévoles, la location de l'arcade constitue presque l'unique coût d'exploitation.

La nourriture provient de l'association Partage, qui centralise le surplus invendable des grandes surfaces. Mais aussi de boulangeries du quartier.


«Depuis mon accident de travail, ma famille se prive de tout»

Lorsqu'il arrive en Suisse en 1988, Adrian est un robuste marbrier-platrier. Son mètre nonante assume pleinement la charge de pater familias, un rôle qu'il s'assigne avec fierté. Survient alors cet accident de travail, en 2003. Son dos lâche, sa colonne vertébrale ne s'en remettra jamais vraiment, malgré deux interventions chirurgicales, au succès partiel, et trois autres subséquentes.

C'est la lente descente dans l'enfer de la précarité. Loisirs, vacances et sorties sont rapidement proscrits de leur vocabulaire.

«Je ne peux plus rien porter. Et puisque ma maîtrise du français est limitée, ma reconversion n'est pas évidente», énonce Adrian, aux côtés de sa femme. Celle-ci occupe depuis un emploi de nettoyeuse à 60%, qui permet à cette famille de quatre enfants de joindre avec peine les deux bouts. Car, indemnisé pendant une année par l'assurance accident, Adrian touche ensuite le  chômage. Une fois son délais-cadre terminé, il ne lui reste plus qu'à se diriger vers l'assurance invalidité. Qu'on ne veut lui donner que partiellement. Son cas sera d'ailleurs bientôt tranché par le Tribunal fédéral.

Sa rente de 600 francs, à laquelle s'ajoute une prestation complémentaire, place le revenu du ménage à 5500 francs par mois. A six. Lorsque le loyer de 1460 francs et les assurances complémentaires ? nécessaires ? vu les soins dont sa femme et lui ont besoin, que les bouches sont nourries, il ne reste presque plus rien.

«Nous nous privons de tout. Mais on se débrouille, en achetant chez Denner, à  Caritas, et ici, à l'épicerie.»
(mgt)


«Je ne sais pas à quelle sauce je vais être mangée dans trois mois»

Jeanne fêtera prochainement ses 51 ans. Elle sera seule, et la saveur du gâteau qu'elle s'offrira peut-être lui laissera un goût amer. Née à Genève, cette Suissesse a eu le malheur de ne pas plaire, dit-elle, au nouveau gérant du café dans lequel elle servait. Licenciée il y a deux ans, elle touche le chômage durant dix-huit mois, avant d'être placée temporairement dans un musée. Son contrat indique un taux d'activité de 100%, pour une rémunération équivalant à 80%, soit 2700 francs brut.

Avec son maigre salaire, elle s'acquitte d'un loyer légèrement inférieur au millier de franc, à quoi s'ajoute, bien entendu, l'assurance maladie.

«Je ne me suis pas acheté un pull depuis deux ans. Je ne sors plus et je n'ai pas de vie sociale. Heureusement que j'ai Internet», se console- t-elle. Mais le pire réside dans l'incertitude. «Je n'ai que trois mois de relative sécurité devant moi. Je ne sais pas à quelle sauce je serai mangée ensuite.» N'ayant pas encore 55 ans, elle ne peut pas être placée pendant douze mois et bénéficier ainsi d'un nouveau délai-cadre à l'arrivée. «Cet article de la nouvelle loi est inadmissible. Ils veulent augmenter l'âge de la retraite, mais plus personne ne veut m'embaucher», s'insurge-t-elle.

L'épicerie, elle s'y rend tous les jeudis depuis son ouverture. Préférant donner la priorité aux factures, pour conserver son toit, elle lime sur la nourriture. «Je n'arrivais plus à suivre. J'ai donc été voir le service social pour pouvoir manger un peu plus et prendre le bus pour aller au travail. Ils m'ont proposé l'épicerie afin de remplir mon frigo à moindres frais.»
(mgt)


«Je ne vois pas le bout du tunnel»

Maria a troqué un calvaire contre un autre. Cette  Chilienne, mère d'un enfant de 7?ans, a fui un mari excessivement violent, si tant est que la violence puisse être modérée, tolérable.

«Menacée de mort», elle débarque à Genève, en 2006, chez une cousine suisse qui l'accueille durant trois mois, période équivalente à la durée de son visa de touriste. Lorsque celui-ci échoit, son hôtesse panique à l'idée d'héberger une personne sans titre de séjour. Une sans-papiers, en somme.

Mise à la porte sans préavis, Maria découvre la débrouille: une sous-location par-ci, un séjour à la Halte Femmes d'Emm
aüs par-là. Seul
réconfort: le canton scolarise son enfant, malgré son statut.

Une année après, elle partage un appartement aux Avanchets avec une toxicomane. Le climat se dégrade. Elever un enfant devient très rapidement incompatible. Un ami lui sous-loue alors un «petit studio», dont le loyer coûte 1000 francs par mois. Cela tandis qu'elle gagne 1180 francs en tant que femme de ménage, à 75%. Travailler plus? Difficile. «On profite de ma situation pour me sous-payer. De plus, la plupart des offres d'emploi que je trouve exigent un permis d'établissement valable»,  déplore-t-elle.

C'est pourquoi certaines associations lui recommandent de se marier, avec un Suisse s'entend. Mais cette pieuse catholique s'y refuse.
Il n'est pas question non plus de retourner dans l'hémisphère Sud: «Mon fils apprend plusieurs langues, il est très bien intégré. Et je ne veux pas rentrer au Chili pour me cacher de ma propre famille.»
(mgt)


«Je ne devrais pas tarder à m'en sortir»

Elle le dit sans détour: sa fragile situation est provisoire. «Je ne devrais pas tarder à m'en sortir», confesse-t-elle.

Gestionnaire de vente, Martha, originaire de République dominicaine, gagne bien sa vie jusqu'en 2006. Elle a une voiture et un trois-pièces confortable. Une immigrée qui réussit, semble-t-elle vouloir dire.

Puis se produit la chute. Elle est double. L'une lui «arrache» la colonne vertébrale, l'autre l'arrache à son train de vie. L'assurance accident l'indemnise correctement la première année, la seconde, 30% de ses revenus s'éclipsent, comme le prévoit la Loi sur le chômage.

Ne pouvant plus exercer un métier, le sien, nécessitant de se tenir debout, elle entame des études de comptabilité. L'Office régional de placement refuse de lui octroyer une aide pour les frais d'écolage.

«J'avais le choix entre payer un avocat pour financer des recours ou me serrer la ceinture et payer moi-même l'intégralité de ces études», résume Martha. Elle choisira la seconde option. Peut-être la moins mauvaise des deux. «Je commence ma nouvelle carrière en septembre prochain. Mon contrat est à bout touchant», révèle-t-elle.

Bien que temporaires, ses difficultés pécuniaires n'en sont pas moins réelles. D'où le fait qu'elle fréquente chaque semaine depuis un mois l'épicerie verniolane. Au vu de son cas particulier, le service social a fait une exception. Car «son patrimoine» dépasse de peu les seuils prévus par le service social. A quoi bon lui demander, pour la petite année qui la sépare d'une meilleure situation, de déménager et de vendre sa voiture?

(mgt)

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