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Correspondants de nuit : démineurs de conflits

19 février 2013 Thierry 0 Comments

Premiers résultats, positifs, de la médiation de nuit lancée il y a deux ans à Vernier

«Ils sont cool. S’il y a des embrouilles, ils règlent l’histoire.» Des adolescents croisés un après-midi dans le centre commercial de la cité des Avanchets livrent spontanément leur opinion sur les correspondants de nuit (CN). «Il y avait trop de problèmes aux Avanchets. Ils ont calmé le jeu. Ils se font respecter», résume une jeune fille de 12 ans. Ce n’était pourtant pas gagné. Perçus avec méfiance comme des «indics» de la police par les uns, attendus comme des «chasseurs de jeunes» par les autres, les médiateurs de rue ont dû convaincre en allant sur le terrain, jour après jour. Deux ans après le lancement d’un projet-pilote à Vernier, unique en Suisse romande, un bilan intermédiaire a été réalisé. Il reviendra aux autorités de prolonger, ou pas, l’expérience au-delà de cette année.

Faire baisser le sentiment d’insécurité; contribuer à réduire les nuisances sonores, les incivilités, les déprédations; favoriser le lien social. Voilà les principaux objectifs fixés au groupe de cinq professionnels de la médiation, âgés d’une quarantaine d’années, chargés de sillonner les quartiers populaires des Avanchets et de Châtelaine-Balexert de 18 h à 2 h, sept jours sur sept, toute l’année. «Ces troubles méritaient un traitement différent, relève le socialiste Thierry Apothéloz, magistrat chargé de la Cohésion sociale et de la Sécurité. Il fallait apporter une réponse complémentaire à celle des travailleurs sociaux hors murs ( ndlr: TSHM ) , des agents de la police municipale (ndlr : APM ) et de la gendarmerie.»

Des premiers chiffres et des résultats concrets éclairent le travail de l’équipe, appuyée depuis le début de l’année par deux auxiliaires. «En 2012, ils ont eu une interaction avec 4437 personnes, soit lors d’interventions directes sur le terrain, soit après sollicitation via un numéro de téléphone gratuit», explique Thierry Apothéloz. Certains jours, ils ont reçu jusqu’à huit appels. Une intervention pouvant durer de dix minutes à près de deux heures, ils ont parfois été débordés.

Le parvis d’une église squatté

La gestion de conflits et la médiation figurent au cœur de leur mission. L’exemple le plus emblématique concerne l’église Saint-Pie X, à Châtelaine. «Des groupes de jeunes, parfois jusqu’à quarante, se retrouvaient sur le parvis pour y passer la nuit, fêter un anniversaire», raconte Alexis Ongolo, correspondant de nuit. Des voisins jetaient des œufs et des bouteilles sur les jeunes. Ils accusaient aussi la paroisse d’immobilisme, insultant même ses membres à la sortie de la messe… La police municipale et la gendarmerie intervenaient régulièrement.

«Personne n’avait pu réfléchir à la source du conflit», relève le médiateur. Dans un premier temps, les correspondants ont fait du porte à porte pour rencontrer chaque personne concernée. Une réunion a été organisée avec des résidents et le comité de la paroisse. «Ils se sont rendu compte qu’ils avaient les mêmes besoins.»

Un «accord assez simple» a été trouvé. On a fixé une plaque rappelant les codes de bonne conduite au-dessus des escaliers. Les habitants ont réfléchi à des actions pour s’approprier le lieu. Et chacun s’est mis d’accord sur la manière d’agir en cas d’urgence. «Il fallait casser les idées reçues des deux côtés, poursuit Lucienne Erb, coordinatrice du projet des correspondants de nuit. Nous avons fait comprendre aux jeunes que leur présence n’était pas dérangeante s’ils respectaient les règles.» Beaucoup ont finalement choisi de se déplacer vers un autre lieu, en dehors des zones d’habitation. Après sept mois de mise en lien de tous les acteurs, la situation s’est améliorée à l’été passé, de l’avis même de la paroisse, dans un courrier adressé aux autorités.

Durant l’hiver, ils interviennent souvent dans les garages, lieux privilégiés pour des rassemblements informels. «En ce moment, c’est chaud, livre Lucienne Erb. On observe plusieurs conflits entre des groupes de jeunes et des résidents, en raison de déchets non ramassés, mais aussi de véhicules endommagés.» Des plaintes ont été adressées à des régies. «Notre mission n’est pas de donner raison aux uns ou aux autres, mais de faire en sorte que chacun fasse un effort.» Plus d’une quarantaine de médiations ont ainsi pu être menées en deux ans.

Un projet «terrasses»

Autre défi: la lutte contre le bruit, notamment lié aux terrasses. Un partenariat a été conclu avec des tenanciers de bistrot. S’ils estiment être dépassés par les tensions entre les clients ou avec le voisinage, ils peuvent contacter les correspondants de nuit. «Nous nous sommes mis d’accord avec la police municipale pour intervenir en première ligne en juin et juillet. Au fil de la saison, si les problèmes persistent, elle prend le relais», relève Lucienne Erb.

D’autres actions paraissent plus anecdotiques, mais il fallait y penser. Dans les escaliers du 6e étage d’un immeuble des Avanchets, le regard s’arrête sur une balayette, une pelle, un sac plastique noir, et sur le mur, cet écriteau: «Merci de bien vouloir respecter les voisins et les concierges en débarrassant vos déchets en partant.» Le dispositif placé dans une quinzaine de lieux permet aux correspondants de nuit d’aborder plus facilement la question des incivilités avec leurs auteurs. Dans l’escalier où nous nous trouvons, le ménage a été fait, mais «nous n’avons pas encore pu sensibiliser tous les groupes», détaille Lucienne Erb. D’ailleurs, dans les escaliers de secours d’un autre bâtiment, des verres vides ou remplis de vin rouge, des cadavres de bouteilles, des mégots jonchent le sol. Les concierges, appelés aussi à collaborer au projet, montrent parfois quelques réticences. «Certains préféreraient ne voir personne rester dans les couloirs», témoigne la médiatrice. «Il y a des insatisfactions, reconnaît Thierry Apothéloz, parce qu’on attend que les correspondants de nuit trouvent une solution magique ou immédiate. Il faut dépasser ce premier réflexe.»

Améliorer la coordination

Leur utilité semble en tout cas reconnue. Selon un sondage réalisé par la Municipalité, 61% des partenaires – institutionnels ou non – des correspondants de nuit jugent leur action efficace, voire très efficace. A l’image de l’îlotier du poste de gendarmerie de Blandonnet, qui s’exprime dans une note de service. «Les CN ou tout autre futur service apportant ce genre de réponses aux préoccupations nocturnes de nos concitoyens, pour des interventions qui n’ont pas ou peu de caractère pénal, ont leur place dans les nuits verniolanes, voire genevoises.» Le gendarme insiste toutefois sur l’amélioration de la coordination, afin d’éviter les redondances lors d’interventions. Des réglages ont depuis été apportés.

Voilà qui met en concurrence les structures, dénoncent depuis le début les farouches opposants au projet, le MCG et l’UDC, suivis depuis par certains libéraux-radicaux sceptiques, lesquels se sont alliés, lors du Conseil municipal en novembre, pour torpiller le dispositif. «Si les APM patrouillaient le soir, on se sentirait tout autant en sécurité, estime le conseiller municipal PLR Gilles-Olivier Bron. On aurait aussi pu demander aux TSHM de travailler en soirée.» L’efficacité d’une telle action reste à prouver, estime-t-il, d’autant que son coût n’est pas négligeable: 490 000 fr. pour 2013. Un avis que ne partage pas un autre PLR, le conseiller administratif Pierre Ronget: «La sécurité ne doit pas être seulement basée sur la répression, il faut aussi développer la prévention, pour faire baisser les tensions.»

Sophie Roselli

In Tribune de Genève – 19 février 2013

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