[OPINION] La pénurie de main-d’œuvre à Genève n’est pas une fatalité

  • Home
  • [OPINION] La pénurie de main-d’œuvre à Genève n’est pas une fatalité

[OPINION] La pénurie de main-d’œuvre à Genève n’est pas une fatalité

5 janvier 2024 Thierry Comments Off

Ce texte est paru dans la rubrique Opinion du journal Le Temps le 4 janvier 2024.

Un fort afflux de travailleurs frontaliers et en même temps un fort taux de chômage: le paradoxe genevois n’est pourtant pas insurmontable, écrit le conseiller d’Etat chargé de la Cohésion sociale Thierry Apothéloz

Les associations professionnelles s’inquiètent, à juste titre, de la pénurie de main-d’œuvre qui touche notre pays et qui va s’accentuer dans les années à venir, notamment en raison du vieillissement de la population. On évoque 25 000 places de travail à repourvoir en Suisse romande. Un chiffre qui a doublé en l’espace de trois ans. Cette situation inédite est à mettre au crédit de notre incroyable croissance économique. Genève compte 341 000 places de travail, soit 5% de plus qu’il y a deux ans à peine. Un chiffre qui a augmenté de près de 40% en l’espace de vingt ans. Or, aujourd’hui, la population active du canton n’est que de 237 000 personnes. C’est aussi la raison pour laquelle chaque jour, plus de 100 000 personnes, essentiellement frontalières, viennent combler le manque abyssal de main-d’œuvre locale et permettre à notre économie de fonctionner et de contribuer à cette prospérité que bien des régions d’Europe nous envient.

Une prospérité qui, paradoxalement, ne profite pas à tous. Genève connaît en effet un chômage endémique, systématiquement plus élevé que dans le reste de la Suisse, et qui vient de repasser au-dessus de la barre symbolique des 4%. Il y a ainsi 15 000 demandeurs d’emploi dans notre canton, auxquels il convient de rajouter le nombre des adultes à l’aide sociale et sans emploi et qui représentent environ 15 500 personnes. Un chiffre qui a doublé en dix ans.

Comment dépasser ce paradoxe qui veut qu’à Genève on importe chaque jour des milliers de travailleurs, alors même que nos demandeurs d’emploi sont si nombreux? On évitera bien entendu précautionneusement de tomber dans la paresse intellectuelle visant à faire des frontaliers les boucs émissaires de cette situation. Les chiffres exposés ci-dessus démontrent que même un hypothétique plein-emploi ne suffirait pas à pourvoir l’ensemble des places de travail disponibles! Cela ne doit cependant pas occulter le problème: nous avons une large frange de notre population qui ne parvient pas à s’insérer sur un marché du travail pourtant en pleine expansion.

Tout le monde s’accorde aujourd’hui à dire que la réponse à cette problématique réside dans le décalage existant entre le marché du travail et le niveau de qualification professionnelle de la population sans emploi. Près de la moitié des bénéficiaires de l’aide sociale n’ont pas de formation au-delà de l’école obligatoire. Ils sont ainsi bien peu armés pour faire face à un marché du travail exigeant comme le nôtre qui est principalement orienté vers les services et nécessite une main-d’œuvre particulièrement qualifiée.

C’est dire si je me réjouis de l’entrée en vigueur au 1er janvier 2025 de la loi sur l’aide sociale et la lutte contre la précarité. Constituant une révolution copernicienne dans la manière dont on assurera désormais le suivi et l’accompagnement des bénéficiaires de l’Hospice général, cette nouvelle législation permettra de renforcer considérablement les possibilités de formation, de certification et de requalification des personnes à l’aide sociale. Il faut ajouter à cela le récent déplafonnement des bourses d’études et l’assouplissement des critères permettant d’y accéder, depuis 2021, qui permettent aujourd’hui à de plus en plus de personnes de trouver un soutien financier bienvenu à leur projet de reconversion professionnelle.

Nous aurons ainsi bientôt toutes les cartes en main pour participer à répondre au défi de la pénurie de main-d’œuvre en donnant à celles et ceux qui sont aujourd’hui insuffisamment formés la possibilité de se réorienter pour s’insérer durablement sur le marché du travail.