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PORTUGAL • Grândola : le peuple retrouve la voix

De plus en plus de Portugais entonnent l’hymne de la révolution des œillets en guise de protestation. Comment une chanson enregistrée en France en 1971 est devenue le symbole de la résistance à l’oppression, hier de la dictature, aujourd’hui du marché.

Voici la chanson :

En février 2013, le premier ministre portugais était interrompu par cette chanson en plein session plenière.

Tout a commencé le 17 mai 1964. La Société musicale Fraternité ouvrière de Grândola [ville située à une centaine de kilomètres au sud de Lisbonne] organise un concert à 22 heures dans sa salle des fêtes. José Afonso [plus connu sous le nom de Zeca Afonso] est annoncé en deuxième partie. Il est déjà considéré comme un “innovateur” : “Dans ses ballades transparaît la dimension poético-tragique de la sensibilité de notre peuple”, peut-on lire dans le programme. Cette soirée dans l’Alentejo allait marquer le trentenaire José Afonso pour la vie.

Un poème devenu chanson

Dans son livre José Afonso, le visage de l’utopie [paru en 1999 au Portugal], José Salvador cite une lettre qu’il écrit à ses parents, quelques jours après le concert. “Je leur ai offert une chanson composée la veille [Cantar alentejano], une sorte d’évocation de la terre d’Alentejo et de son symbole encore vivant dans la mémoire de l’homme du peuple : Catarina Eufémia, une paysanne de Baleizão tuée par les gendarmes [en 1954, à l’occasion d’une grève pour de meilleurs salaires] (…). Si un jour je dois quitter ce pays, c’est le souvenir de ces hommes que j’ai rencontrés à Grândola et dans d’autres lieux identiques qui me fera revenir.”

Quelques jours après le concert, le responsable de la Société musicale reçoit par courrier un poème dédié à Grândola, écrit par Zeca Afonso. Ainsi était née Grândola, vila morena.

Publié en 1967, le poème devient une chanson dans l’album Cantigas do Maio [Chansons de mai], sorti en 1971. Le producteur est José Mário Branco [un des plus célèbres chanteurs engagés contre la dictature] et l’enregistrement se fait à Hérouville [dans le Val-d’Oise]. C’est là que José Mário Branco a l’idée de transformer Grândola, vila morena en une chanson qui obéit à la structure traditionnelle du registre alentejano : chaque strophe est répétée en sens inverse. Une caractéristique qui peut embrouiller tous ceux qui aujourd’hui entonnent la chanson sans avoir au préalable bien regardé les paroles ou qui ne l’ont pas écoutée suffisamment…

Le signal de la révolution

Grândola n’avait pas été écrite pour être particulièrement révolutionnaire. Paradoxalement, c’est d’ailleurs pour cette raison-là qu’elle a conquis une place importante dans l’histoire du Portugal. José Afonso avait vu plusieurs de ses chansons interdites par la dictature [1926-1974], mais ce n’était pas le cas de Grândola. D’ailleurs, il la chante le 29 mars 1974 à l’occasion de la première Rencontre de la chanson portugaise à Lisbonne.

Ce jour-là, rares sont ceux qui savent que le processus révolutionnaire est en cours. Les militaires qui préparent la chute du régime sont confrontés à un problème : les communications du système militaire portugais ne sont pas suffisamment efficaces pour garantir un signal audible et fiable dans tout le pays. Le commandant Almada Contreiras, responsable des communications de la marine, avait lu un ouvrage sur le coup d’Etat de Pinochet du 11 septembre 1973 au Chili, qui racontait comment les mouvements de gauche avaient choisi comme signal l’émission de certaines chansons sur les ondes de stations de radio civiles. L’idée séduit les militaires portugais.

Ils choisissent de le faire le 25 avril à l’aube, dans l’émission Limite, sur Radio Renascença [qui appartient à l’Eglise]. Carlos Albino, un journaliste en délicatesse avec le régime, est en charge de la programmation musicale. Par prudence, la veille de la révolution des œillets, il achète l’album, de peur que celui de la radio ne soit rayé ou ne disparaisse. Aujourd’hui, Carlos Albino est conscient du fait queGrândola est “devenue un symbole national de libération face à l’oppression, mais également de participation et de maturité citoyennes en démocratie”.

In Le Courrier International – 13 mars 2013

Cette chanson a également fait l’objet d’un article sur politis.ch : http://www.politis.ch/carnets/2007/04/25/grandola-ville-brune-revolution-des-oeillets-25041974/

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