Genève, 29 janvier 2009 in Le Temps – Cynthia Gani
Des abris de fortune sous les ponts, parmi les déchets. Comme ceux des mendiants, sauf que la photographie a été détournée par un slogan choc: «Futurs logements des Genevois grâce aux bilatérales?» Ce montage figure en première page du journal du Mouvement Citoyens genevois (MCG), gracieusement déposé dans les boîtes aux lettres du canton. Il montre jusqu'où sont prêts à aller certains opposants à la reconduction et à l'extension des accords bilatéraux dans un canton particulièrement concerné par les changements que pourrait entraîner le scrutin. A Genève, la campagne du «non» est si âpre que chez les partisans, on dit douter du résultat. Le dernier sondage de la SSR, qui prévoit un «oui» national à tout juste 50%, ajoute encore au suspense: le grand frisson se prolongera jusqu'au grand soir.
La peur du frontalier
Impossible de rester sourd face aux craintes exprimées au café du Commerce, où les discussions se focalisent sur un personnage: le frontalier. Dans un canton qui partage 103 kilomètres de frontière avec la France et un projet d'agglomération commune, certains sont tentés par l'amalgame avec un fléau genevois: le taux record de chômage, de 5,7% en 2008 contre 3,1% en moyenne suisse.
Conscient de la délicatesse de la question, le Conseil d'Etat a mobilisé quatre ministres pour démentir le fait que les frontaliers auraient une influence sur le chômage. Au contraire, ont-ils plaidé: depuis juillet 2005, le taux a baissé de manière régulière alors que le nombre de permis frontaliers a bondi, passant de 45?081 en 2004 à 62?744 en 2008.
Le spectre du dumping
Mais cela ne suffit pas à rassurer tout le monde, observe Stéphanie Ruegsegger, déléguée à la Fédération des entreprises romandes: «Je ne suis pas d'un optimisme délirant quant à l'issue du scrutin. Sur le terrain, beaucoup de questions se focalisent sur les frontaliers, alors que c'est l'aspect qui changera le moins si la Suisse vote «oui» le 8 février puisqu'ils n'ont jamais été contingentés. On nous dit qu'ils viendront en masse piquer les emplois des Genevois et qu'il y aura davantage de dumping. Nous répondons que Genève est un pôle transfrontalier, qui ne tournerait pas sans eux.»
A l'autre bout de l'échiquier, Georges Tissot, secrétaire au Syndicat interprofessionnel des travailleuses et travailleurs (SIT), fait le même constat en militant sur les stands: «J'ai l'impression que cela ne va pas passer. Nous concentrons notre campagne sur la question du dumping salarial, en expliquant aux gens que ce phénomène a toujours existé, et que les accords bilatéraux ont au contraire permis d'améliorer la situation grâce aux mesures d'accompagnement. On leur explique qu'il y a plus de différences salariales entre hommes et femmes qu'entre Suisses et étrangers. Mais il y a toujours quelqu'un pour citer le contre-exemple d'un beau-frère qui a souffert. Et là, on n'arrive pas à répondre», admet-il. Certains se plaignent aussi de la non-réciprocité dont souffriraient les Suisses qui tentent de décrocher un emploi en France (lire ci-dessous).
Précédent rassurant en 2005
En toile de fond, il y a le spectre de la crise financière, et la tentation du repli. Les Roms dans les rues de la Cité et les cambrioleurs géorgiens, que certains sont tentés d'associer aux Roumains, voire aux Bulgares. Et l'unanimité affichée par les partis traditionnels, les milieux économiques et les syndicats ne rassure pas forcément: «Les gens se demandent ce que ça cache. Ils se disent que si les patrons sont pour les bilatérales, ils ne peuvent pas adopter la même position», rapporte Georges Tissot.
En 2005, Genève avait déjà connu une campagne dure, aux relents xénophobes. Le MCG, qui martèle cette année «Frontaliers assez!» sur ses affiches et dans son journal, s'était fait élire quelques semaines plus tard au Grand Conseil sur ce thème. Le canton a toutefois fini par créer la surprise en acceptant par 58% des voix l'extension de la libre circulation.
«Des jobs qu'on ne veut pas»
En attendant le 8 février, certains partisans ont choisi l'optimisme, comme Jacques Jeannerat, directeur de la Chambre de commerce, d'industrie et des services de Genève et élu radical au parlement: «Les gens ont compris que lorsqu'ils commandent un plat du jour au bistrot, c'est un garçon de café français qui les sert. Ils ont réalisé que, sans les frontaliers, l'hôpital s'arrêterait de tourner à midi. Ils savent qu'il y a des jobs dont les Genevois ne veulent pas.»
Autres raisons de se rassurer: «Contrairement à 2005, les milieux de la construction soutiennent cette fois clairement les bilatérales. Comme ils ont vu que le plombier polonais n'était pas venu, ils ne redoutent pas le carreleur roumain», assure Jacques Jeannerat. Plus globalement, l'opposition est moins active qu'en 2005: désunie et soucieuse de donner une bonne image à l'Entente bourgeoise dans la perspective de conclure un jour une alliance, l'UDC genevoise se fait discrète. A l'extrême gauche, le ténor Christian Grobet ne milite plus. Seul le MCG et la petite formation «Les communistes» se battent activement pour le «non».
Le silence de la banlieue
Reste ceux qui ont choisi de se murer dans un troublant silence. Dans les communes suburbaines de Vernier et d'Onex, qui avaient voté «non» en 2005, la libre circulation n'est simplement pas un sujet. Membre de l'exécutif onésien et président du PS genevois, René Longet affirme qu'«à Onex, ce n'est pas un thème dont les gens parlent spontanément. Dans la mesure où l'on ne sent rien, il y a un certain suspense». Même sentiment du socialiste Thierry Apothéloz, membre de l'exécutif de Vernier, deuxième commune du canton: «Ce qui m'inquiète, c'est que les gens n'en parlent pas: le silence, c'est mauvais signe.»
Mais les deux élus veulent tout de même croire à l'ouverture, affirmant qu'avec 40% d'étrangers dans le canton, la population genevoise «est habituée à vivre avec une composante transfrontalière importante: aujourd'hui, on vit des deux côtés de la frontière», constate René Longet. Thierry Apothéloz renchérit: «La plupart des gens sont acquis à l'idée d'être dans l'Union européenne, d'une manière ou d'une autre. Ils
ont compris qu'un grand nombre de frontaliers sont des Suisses qui vivent en France.»
Echo des media : article du Temps sur la libre circulation
Libre circulation: le grand frisson à Genève
Genève, 29 janvier 2009 in Le Temps – Cynthia Gani
Des abris de fortune sous les ponts, parmi les déchets. Comme ceux des mendiants, sauf que la photographie a été détournée par un slogan choc: «Futurs logements des Genevois grâce aux bilatérales?» Ce montage figure en première page du journal du Mouvement Citoyens genevois (MCG), gracieusement déposé dans les boîtes aux lettres du canton. Il montre jusqu'où sont prêts à aller certains opposants à la reconduction et à l'extension des accords bilatéraux dans un canton particulièrement concerné par les changements que pourrait entraîner le scrutin. A Genève, la campagne du «non» est si âpre que chez les partisans, on dit douter du résultat. Le dernier sondage de la SSR, qui prévoit un «oui» national à tout juste 50%, ajoute encore au suspense: le grand frisson se prolongera jusqu'au grand soir.
La peur du frontalier
Impossible de rester sourd face aux craintes exprimées au café du Commerce, où les discussions se focalisent sur un personnage: le frontalier. Dans un canton qui partage 103 kilomètres de frontière avec la France et un projet d'agglomération commune, certains sont tentés par l'amalgame avec un fléau genevois: le taux record de chômage, de 5,7% en 2008 contre 3,1% en moyenne suisse.
Conscient de la délicatesse de la question, le Conseil d'Etat a mobilisé quatre ministres pour démentir le fait que les frontaliers auraient une influence sur le chômage. Au contraire, ont-ils plaidé: depuis juillet 2005, le taux a baissé de manière régulière alors que le nombre de permis frontaliers a bondi, passant de 45?081 en 2004 à 62?744 en 2008.
Le spectre du dumping
Mais cela ne suffit pas à rassurer tout le monde, observe Stéphanie Ruegsegger, déléguée à la Fédération des entreprises romandes: «Je ne suis pas d'un optimisme délirant quant à l'issue du scrutin. Sur le terrain, beaucoup de questions se focalisent sur les frontaliers, alors que c'est l'aspect qui changera le moins si la Suisse vote «oui» le 8 février puisqu'ils n'ont jamais été contingentés. On nous dit qu'ils viendront en masse piquer les emplois des Genevois et qu'il y aura davantage de dumping. Nous répondons que Genève est un pôle transfrontalier, qui ne tournerait pas sans eux.»
A l'autre bout de l'échiquier, Georges Tissot, secrétaire au Syndicat interprofessionnel des travailleuses et travailleurs (SIT), fait le même constat en militant sur les stands: «J'ai l'impression que cela ne va pas passer. Nous concentrons notre campagne sur la question du dumping salarial, en expliquant aux gens que ce phénomène a toujours existé, et que les accords bilatéraux ont au contraire permis d'améliorer la situation grâce aux mesures d'accompagnement. On leur explique qu'il y a plus de différences salariales entre hommes et femmes qu'entre Suisses et étrangers. Mais il y a toujours quelqu'un pour citer le contre-exemple d'un beau-frère qui a souffert. Et là, on n'arrive pas à répondre», admet-il. Certains se plaignent aussi de la non-réciprocité dont souffriraient les Suisses qui tentent de décrocher un emploi en France (lire ci-dessous).
Précédent rassurant en 2005
En toile de fond, il y a le spectre de la crise financière, et la tentation du repli. Les Roms dans les rues de la Cité et les cambrioleurs géorgiens, que certains sont tentés d'associer aux Roumains, voire aux Bulgares. Et l'unanimité affichée par les partis traditionnels, les milieux économiques et les syndicats ne rassure pas forcément: «Les gens se demandent ce que ça cache. Ils se disent que si les patrons sont pour les bilatérales, ils ne peuvent pas adopter la même position», rapporte Georges Tissot.
En 2005, Genève avait déjà connu une campagne dure, aux relents xénophobes. Le MCG, qui martèle cette année «Frontaliers assez!» sur ses affiches et dans son journal, s'était fait élire quelques semaines plus tard au Grand Conseil sur ce thème. Le canton a toutefois fini par créer la surprise en acceptant par 58% des voix l'extension de la libre circulation.
«Des jobs qu'on ne veut pas»
En attendant le 8 février, certains partisans ont choisi l'optimisme, comme Jacques Jeannerat, directeur de la Chambre de commerce, d'industrie et des services de Genève et élu radical au parlement: «Les gens ont compris que lorsqu'ils commandent un plat du jour au bistrot, c'est un garçon de café français qui les sert. Ils ont réalisé que, sans les frontaliers, l'hôpital s'arrêterait de tourner à midi. Ils savent qu'il y a des jobs dont les Genevois ne veulent pas.»
Autres raisons de se rassurer: «Contrairement à 2005, les milieux de la construction soutiennent cette fois clairement les bilatérales. Comme ils ont vu que le plombier polonais n'était pas venu, ils ne redoutent pas le carreleur roumain», assure Jacques Jeannerat. Plus globalement, l'opposition est moins active qu'en 2005: désunie et soucieuse de donner une bonne image à l'Entente bourgeoise dans la perspective de conclure un jour une alliance, l'UDC genevoise se fait discrète. A l'extrême gauche, le ténor Christian Grobet ne milite plus. Seul le MCG et la petite formation «Les communistes» se battent activement pour le «non».
Le silence de la banlieue
Reste ceux qui ont choisi de se murer dans un troublant silence. Dans les communes suburbaines de Vernier et d'Onex, qui avaient voté «non» en 2005, la libre circulation n'est simplement pas un sujet. Membre de l'exécutif onésien et président du PS genevois, René Longet affirme qu'«à Onex, ce n'est pas un thème dont les gens parlent spontanément. Dans la mesure où l'on ne sent rien, il y a un certain suspense». Même sentiment du socialiste Thierry Apothéloz, membre de l'exécutif de Vernier, deuxième commune du canton: «Ce qui m'inquiète, c'est que les gens n'en parlent pas: le silence, c'est mauvais signe.»
Mais les deux élus veulent tout de même croire à l'ouverture, affirmant qu'avec 40% d'étrangers dans le canton, la population genevoise «est habituée à vivre avec une composante transfrontalière importante: aujourd'hui, on vit des deux côtés de la frontière», constate René Longet. Thierry Apothéloz renchérit: «La plupart des gens sont acquis à l'idée d'être dans l'Union européenne, d'une manière ou d'une autre. Ils
ont compris qu'un grand nombre de frontaliers sont des Suisses qui vivent en France.»
LeTemps.ch
Articles récents