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Des médiateurs de choc apaisent les nuits de Vernier

19 juillet 2012 Thierry 0 Comments

VIVRE ENSEMBLE (II) ? Projet pilote mis en place en mars 2011, les correspondants de nuit désamorcent les conflits de voisinage et luttent contre les incivilités.

Un gros «CN» trône sur leurs t-shirts bleu clair. Au début, les enfants du quartier les appelaient Cartoon Network, à l'image de la chaîne de télévision éponyme. Projet pilote à Vernier, les Correspondants de nuit (CN) résolvent les conflits de la commune depuis le 1er mars 2011. Sept jours par semaine, ils sillonnent les quartiers à pied, toujours par deux, pour aller à la rencontre des habitants. Sur appel1 ou au hasard des situations, ces cinq spécialistes de la médiation sociale désamorcent les incivilités et les conflits de voisinage entre 18h et 2h du matin. Mercredi dernier, Le Courrier a pu faire un bout de balade en leur compagnie, juste avant la tombée de la nuit.
Modèle alternatif au tout répressif (lire ci-dessous), la médiation sociale aurait fait ses preuves dans les cités françaises et à Zürich depuis dix ans. Dans une année, l'aventure déployée sur Châtelaine, Balexert et les Avanchets sera évaluée et peut-être étendue. En dix-huit mois, les correspondants de nuit ont travaillé d'arrache-pied pour entrer en contact avec la population. Aujourd'hui, tout le monde les connaît. «C'est la force de la médiation qui m'a amené ici», lance Alexis Ongolo ??cet animateur social, enseignant de formation, était déjà dans un projet de médiation bénévole du quartier des Libellules.
Comme chaque jour, les CN commencent par une tournée de prévention, histoire de «prendre la température». «Si nous sommes présents uniquement aux moments chauds, c'est très dangereux. C'est important de montrer une présence et d'assurer une veille sociale», explique Margo Aubert, qui forme le binôme de ce soir avec Alexis. A leur arrivée dans le lotissement de la rue Jean Simonet, une nuée d'enfants atteste de leur popularité.

«Empêcheurs de tourner en rond»

Ce coin d'immeubles polarise les bisbilles entre voisins, dont certaines ont fait l'objet de plusieurs médiations. Pour l'heure, des enfants jouent dans un carré d'herbe. «On essaye de les orienter sur des jeux qui ne portent pas sur la violence, commente Alexis. C'est important de passer par là, le lien que nous créons aujourd'hui sera précieux plus tard.» C'est d'ailleurs souvent par les plus jeunes que le contact avec les adultes se crée. «En nous voyant, certains parents reprennent leur rôle au sérieux», ajoute le médiateur.
L'un des cinq jeunes garçons qui papotent sur un banc fume le cigare, aussitôt jeté lorsque Margo s'assied avec lui. Elle ne le connaît pas. «Il dit avoir 17 ans ??il a l'air plus jeune. J'ai fait un peu connaissance et l'ai sensibilisé sur la fumée.» L'histoire sera consignée dans le journal de bord. «On va garder un ?il sur lui, creuser un peu, pour être sûr que tout va bien», confie-t-elle.
La promenade se poursuit dans la cour Anémone. En vacances pour la plupart, il ne reste qu'une vingtaine de jeunes à jouer au football. Nathan*, 10 ans, lâche son ballon pour serrer la main des deux visiteurs. Ce qu'il pense des CN? «La nuit je me sens un peu plus rassuré.» Plus vieux, Nemat* est moins convaincu: «C'est un peu inutile, lance-t-il avec défi. Ils passent juste pour nous dire de faire moins de bruit, puis ciao!» «Nous sommes des empêcheurs de tourner en rond», reconnaît Alexis, non sans humour.

Redondance des missions

Le gros des appels concerne les nuisances sonores, mais aussi des conflits larvés entre voisins. C'est aussi arrivé que des enfants les sollicitent, pour des histoires de racket notamment. Auprès d'eux, la mission des correspondants n'est cependant pas toujours claire. Rencontrée en traversant le jardin Robinson, Isabelle Sarment-Migraine, animatrice sociale depuis des âges, souligne: «Il y a beaucoup d'acteurs dans le coin à faire des tournées, entre les gendarmes, les îlotiers, la police municipale, GPA, les correspondants et nous.»
Il arrive que les interventions s'entremêlent lorsque plusieurs habitants appellent différents numéros d'urgence. «Alors la police débarque juste après notre départ. On nous a traités d'indics à cause de ça, regrettent les médiateurs. Or nous sommes tenus au secret de fonction. Les habitants reconnaissent notre efficacité.» La preuve, le recours au 117 a tendance à diminuer, ainsi que les chiffres de la police municipale l'indiquent pour les trois secteurs concernés.

«Ni les substances ni la morale»
Lorsqu'ils sont confrontés à des personnes sous l'emprise de l'alcool ou de la drogue, les correspondants se laissent à chaque fois le soin d'évaluer le danger: «Il faut être sûr de soi. Pour éviter la provocation, on chercher le moyen d'entrer dans l'ambiance gentiment. Mais si mon binôme ne le sent pas, alors on n'y va pas», illustre Alexis. «Quand la violence se met en place, c'est déjà trop tard pour nous», renchérit Margo. Une question de feeling, insiste la travailleuse sociale qui a fait ses armes dans la banlieue parisienne d'Argenteuil. «Je n'ai pas peur à Vernier», souffle-t-elle, même s'il y a eu des cas limites. Récemment, elle a évité de justesse la mort d'un jeune en hypothermie, ou a «ramassé des filles qui venaient de se faire tabasser».
Quant au deal, ils ne s'en occupent pas. «Ni les substances ni la morale!» «Notre seule plus-value est notre présence», estime Alexis. Elle est parfois dissuasive. A part quelques aventures extrêmes, l'équipe s'occupe surtout «des bisbilles de la vie normale, qui pourraient très bien se passer à Champel».
Aux Avanchets, la soirée promet d'être un peu plus animée. Mais la presse n'y est pas la bienvenue depuis que certains médias ont été vus comme stigmatisant par certains jeunes. I

1Numéro gratuit 0800 12 19 20
* Prénoms d'emprunt

 

«Redonner les outils pour se parler»

Coordinatrice des Correspondants de nuit de la commune de Vernier, Lucienne Erb croit à la place de la médiation sociale comme moyen de lutte contre les incivilités.

Quel est l'apport de la médiation dans un climat social tendu?
Lucienne Erb: Il est impossible de lutter contre les incivilités sans créer du lien social et des espaces de parole. A côté d'une mission de type coercitif-répressif, un autre discours existe. Il s'agit de chercher à comprendre les raisons des incivilités et à éveiller chez leurs auteurs le sentiment de responsabilité. En parallèle, un travail d'acceptation est fait auprès des personnes qui se plaignent de nuisances.

Concrètement, comment se déploie votre mission?
Il y a deux grands axes d'activités. Un axe «à chaud» sur le terrain, qui consiste à intervenir à la demande des personnes que nous rencontrons ou qui nous sollicitent. Dans ce cadre, nous faisons de la gestion de conflit. Notre intervention consiste à calmer le jeu. Notre posture de médiateur intervient dans un contexte «à froid». Hors de la situation de crise ou de stress, dans une optique de résolution de conflit, nous effectuons des médiations sur rendez-vous.

Cette stratégie a-t-elle porté ses fruits?
Oui, nous sommes parvenus à résoudre des situations difficiles et à amener des voisins et des familles à entrer en médiation, alors que certains ne communiquaient plus qu'en s'insultant ou en tapant sur les radiateu
rs. Il y a eu un cas de déprédations importantes dans une série d'immeubles gérés par la régie Cogérim. Elle a été d'accord d'entrer dans un processus de médiation et de réparation des torts commis, au lieu de porter plainte
pénalement.

La permanence téléphonique amène aussi son lot de détresse sociale…
Nous sommes très vigilants face aux problématiques d'exclusion, de rupture sociale ou de solitude. Lorsqu'il s'agit d'un public sénior, se plaindre de nuisances est parfois la partie émergée de l'iceberg, qui cache peut-être d'autres souffrances.
C'est arrivé plusieurs fois que quelqu'un nous appelle pour nous dire qu'il compte mettre fin à ses jours. Notre rôle consiste à écouter, à soulager, à faire le relais avec d'autres professionnels.

Que reste-t-il à améliorer sur la commune?
Nous gagnerions à développer une approche intergénérationnelle et festive du quartier, dans le respect des habitants et des résidents. Aucun dispositif ne devrait devenir «chasseurs de jeunes». Il faudrait trouver une solution  concertée pour que ce public puisse aussi exister la nuit tout en se
responsabilisant. Propos recueillis par PCA.

 

in Le Courrier – 19.07.2012 – Pauline CANCELA

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