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Thierry Apothéloz: « Le retour du canton dans le soutien à la création est essentiel »

Discours réalisé dans le cadre du Lancement de la concertation sur la politique culturelle, le 2 juin 2021.

J’ai l’immense plaisir d’ouvrir avec vous la concertation sur la politique culturelle cantonale. C’est une opportunité unique de construire ensemble la politique culturelle des années à venir.

Les événements de ces dernières années ont montré que la politique culturelle ne peut être qu’un projet commun, partagé. Durant ces prochaines semaines d’échanges et de débats, j’espère que nous parviendrons à restaurer une énergie rassembleuse, une envie de ‘faire ensemble’, au-delà des clivages.

La période de pandémie que nous traversons a mis en évidence plusieurs aspects :

  • l’importance de la culture pour l’épanouissement des individus et de la collectivité
  • la spécificité de l’économie culturelle, qui vit en partie seulement de subventions, mais a besoin des apports du public ; si la culture ne circule pas, elle dépérit
  • la nécessité d’un canton qui protège la culture et qui assure le lien avec la Confédération et les autres cantons
  • l’importance de la collaboration et de la complémentarité entre le canton, la Ville de Genève, les communes genevoises et la Loterie romande
  • la pertinence d’un échange régulier avec les milieux culturels, qui se sont structurés et mobilisés d’une manière exemplaire

Ainsi les ateliers s’offrent à nous comme une parenthèse bienvenue en cette période complexe et en même temps, ils se nourriront de tout ce que nous avons appris au cours des derniers mois.

Genève est d’une richesse incroyable du point de vue culturel. Il y a une créativité, une capacité à se réinventer qui ne cesse de me surprendre. Genève c’est aussi 45 communes avec des politiques culturelles souvent ambitieuses, dont bien entendu la Ville de Genève. Genève c’est enfin un territoire sur lequel en une même année plusieurs nouveaux magnifiques lieux culturels ont été ou seront inaugurés !

Ce niveau de qualité mérite une politique culturelle à sa hauteur. Je suis pleinement conscient de cette responsabilité et du rôle que le canton a à jouer pour la mettre en oeuvre.

J’ai l’ambition de mobiliser les forces cantonales car il est temps de s’investir et d’investir dans la culture. L’enthousiasme du public à la réouverture des théâtres et autres lieux culturels, comme déjà celui des lectrices et lecteurs à la réouverture des librairies, a montré la soif et le manque créé par l’absence de possibilités d’expériences culturelles. Je suis convaincu du rôle essentiel de la culture pour la cohésion sociale mais aussi de sa valeur intrinsèque, existentielle, pour tout un chacun.

Nous nous devons d’assurer concrètement l’avenir de la culture. Investir, ce n’est pas seulement une affaire de relance pour quelques mois. Cela passe notamment par un soutien durable à la création, qui est la source vive qui irrigue la culture. Cela passe par la valorisation du terreau culturel (la scène émergente) cette matière informelle, multiple, fragile, qui a besoin d’espaces de liberté. Cela passe enfin par le renforcement des institutions qui font le lien entre tous ces éléments et jouent un rôle crucial notamment pour les jeunes générations.

La concertation que nous ouvrons aujourd’hui poursuit deux objectifs concrets, intimement liés.

Premièrement, la mise en œuvre de l’initiative 167 Pour une politique culturelle cohérente à Genève et le nouvel article constitutionnel (art. 216) qui en découle. Je saisis ici l’occasion de remercier le comité d’initiative. La mise en œuvre de l’IN 167 se fera via une modification du dispositif législatif actuel, soit principalement de la loi sur la culture et de la loi sur la répartition des tâches. La loi sur la culture doit pouvoir à nouveau être à la source de nos actions, elle doit pour cela probablement être en partie restaurée dans sa forme initiale – avec le retour du canton dans le soutien à la création – et renforcée sur certains points.

Deuxièmement, l’établissement des lignes directrices de la politique culturelle cantonale comme le demande la loi sur la culture (en particulier l’article 4 de son règlement d’application). Ces lignes directrices donneront les grandes orientations et les priorités de la politique culturelle du canton. Elles sont transversales à l’action du Conseil d’Etat au sens où elles traversent l’ensemble de l’action du canton et concernent plusieurs départements.

Les ateliers vont nous permettre de collecter le précieux matériau qui servira de base à l’élaboration de ces éléments concrets. Prochaines étapes : une version provisoire de ces deux livrables sera présentée lors de la séance de restitution prévue le 2 septembre, puis au Conseil d’Etat. Les documents seront soumis à consultation autour de l’automne et déposés dans leur version finale au Conseil d’Etat d’ici la fin de l’année.

Le lancement des ateliers marque le début de quelque chose, c’est aussi l’aboutissement d’un processus de collaboration et de maturation. J’aimerais ici saluer et remercier plusieurs entités:

  1. Le conseil consultatif de la culture tout d’abord, qui a mis à profit les premiers mois de l’arrêt des activités culturelles en 2020 afin de rédiger un rapport sur la mise en œuvre de l’initiative 167. Les pistes qu’il contient ont largement inspiré les réflexions du département et les propositions qui seront présentées par l’OCCS et challengées dans le cadre des ateliers. Le CCC continuera à être consulté, en tout premier lieu, aux prochaines étapes du processus.
  2. La commission d’accès à la culture, qui a également nourri nos réflexions et avec lequel l’atelier du même nom a été co-construit.
  3. Les départements de l’économie et de l’emploi, le département de l’instruction publique, de la culture et du sport, ainsi que le département du territoire qui sont nos partenaires pour la réalisation d’ateliers sur des thématiques dont ils sont les porteurs. Ces échanges s’inscrivent dans la continuité d’une dynamique interdépartementale que j’entends renforcer.
  4. Les responsables des services culturels de la Ville de Genève et des communes, qui ont été consultés au cours de l’élaboration du dispositif et y participeront à différentes étapes-clé.
  5. Le mouvement la Culture lutte qui présentera prochainement son rapport sur le désenchevêtrement et dont l’engagement soutenu au cours des dernières années a permis d’alerter les collectivités publiques sur les problématiques occasionnées par la répartition des tâches.
  6. Les associations professionnelles enfin, avec lesquelles nous menons un échange soutenu dans le contexte de la crise Covid et dont l’engagement sans faille pour la cause culturelle est une source d’inspiration et de motivation pour le département.

Sur la plan plus politique et en lien étroit avec les travaux menés dans le cadre des ateliers, je présenterai le dispositif des ateliers et ses objectifs ce jour-même à la commission de l’enseignement, de l’éducation et de la culture. Je présiderai ensuite un groupe de travail composé d’une délégation de l’association des communes genevoises, qui mènera une réflexion sur les thématiques de la concertation, de la coordination et du cofinancement. Une discussion avec la Ville de Genève sur le cofinancement des institutions qui la concernent a été initiée. Enfin, le Conseil d’Etat travaillera sur les éléments budgétaires à inscrire au plan financier quadriennal afin de concrétiser les nouvelles ambitions du canton.

Permettez-moi à présent de présenter très brièvement quelques éléments de vision qui doivent à mon avis sous-tendre nos travaux.

Le retour du canton dans le soutien à la création est essentiel : pas seulement parce que le nouvel article de la constitution l’exige (ce qui est en soi suffisant) mais parce que sur le plan symbolique il permet d’ancrer, au cœur de nos politiques, cet élément fondamental à la culture.

Une vision par domaine artistique qui prenne en compte les spécificités des différentes pratiques doit être assurée, car elle seule est à même de prendre en compte les besoins des métiers de la culture et les différentes étapes du parcours artistique.

Une augmentation du soutien aux institutions d’une part et à la création et à la ‘scène off’ d’autre part doit être menée en parallèle et de manière proportionnellement égale, sans les opposer car l’une et l’autre sont indissociables.
Enfin, le canton se doit d’assurer une vision d’ensemble, ceci non pas de manière surplombante et dirigiste, mais à partir du terrain. Son rôle en terme d’accès à la culture, de soutien au milieu culturel afin de renforcer le lien avec le public, est essentiel.

En conclusion à ces quelques mots d’introduction, je vous propose une citation de la publication de l’ouvrage du RAAC « Art, culture & création » parue en 2009, qui continue à nous inspirer et reste singulièrement d’actualité:

« La concertation s’impose comme un instrument indispensable à toute politique culturelle valable. L’expérience du Forum peut servir d’exemple. Peut-être inspirera-t-il une plateforme et des mécanismes de dialogue encore meilleurs. L’essentiel est qu’un esprit d’échange fécond et durable souffle enfin sur Genève. » (p.68)

C’est ce que je souhaite aujourd’hui et que je m’engage à porter au cours des prochains mois. De ce nouveau souffle naîtra, je l’espère, ce fameux +, pour + de culture, que nous attendons, je crois, toutes et tous.

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