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Thierry Apothéloz: “La culture, en plus d’être un exhausteur de curiosité, est un incubateur de cohésion sociale.”

5 novembre 2021 Thierry 0 Comments

Discours réalisé lors de l’inauguration du Nouveau théâtre de Carouge, le 5 novembre 2021 à 18h00.
Photo: © Théâtre de Carouge

Quand François SIMON a mis en scène LA NUIT DES ROIS dans une chapelle désaffectée en 1958[1]… l’aventure était incertaine. Créer une troupe, trouver 500 francs pour payer un loyer à la paroisse Ste-Croix, se débarrasser de l’ombre d’un père qui avait déjà tourné 91 films, amener le public vers un SHAKESPEARE peu connu… Disons qu’il cumulait les difficultés.

Le fait est que l’alchimie a tout de suite opéré. La troupe a vite conquis les cœurs. Pourquoi? Je vois à cela plusieurs raisons.

  • D’abord, l’intérêt de SIMON pour un théâtre exigeant et populaire, porté par un esprit de troupe, sur le modèle de VILAR et PITOËFF.
  • Ensuite, le succès du HAMLET joué sur ce principe l’année d’avant à l’école internationale, en plein air, et qui avait attiré l’attention ;
  • Enfin, une affiche locale d’acteurs et d’actrices qui ne tenaient pas les secondsrôles, comme à la Comédie de l’époque, qui programmait les tournées KARSENTY avec des têtes d’affiche et le slogan… “Comme à Paris, mieux qu’à Paris”.

Là, c’était plutôt: “Comme à Genève, mais à Carouge”. Et comme ils avaient peu de place et peu d’argent, Louis GAULIS, Philippe MENTHA et François SIMON assemblaient les décors eux-mêmes. Sur le trottoir, en salopettes, mains dans la colle…. Cela aussi a créé une proximité nouvelle.

Dans les archives filmées, j’ai trouvé à cet égard un mot de Gilbert STYNER, qui fut concierge du théâtre. Il témoigne :

Pas de vedette! C’était le niveau artisanal intégral ! Ils faisaient tout”.

Un modèle en somme de Comedia dell’Arte, moins le nomadisme. Vingt ans plus tard, le théâtre de Carouge s’installait ici, dans l’ancien bâtiment ZUBER et ARCHINARD. Aujourd’hui, PONT 12 signe ce bel ensemble dont François JOLLIET a raconté la genèse.

Mesdames et Messieurs,

L’étincelle a pris parce que Carouge est une ville de cultures, avec s.

La Genève protestante s’est développée durant les Refuges en accueillant des Réformés. Mais, de son côté, Carouge la catholique s’est profilée en cité des autres refuges.

Joseph BUFFATTI – le Joseph de la rue Saint-Joseph – écrivait en 1789, dans un texte retrouvé par Raymond ZANONE, que Carouge, “par la multitude des étrangers qui viennent s’y réfugier, présente un phénomène politique qui frappe les étrangers, qui surprend les Genevois et qui étonne même ses citoyens“.

Cette diversité lui donne ses couleurs, ses saveurs, son parfum. Et comme à tout parfum il faut un beau flacon… Voici donc “notre” nouveau théâtre. Je dis “notre” parce que le public s’approprie toujours les salles.

Ici les ateliers sont visibles, les salles de répétitions spacieuses, les cintres hauts… Et surtout, la ruche bourdonne. J’y retrouve l’esprit nomade, poétique, novateur et combatif qui a animé tant d’équipes.

J’ai cité François SIMON.

  • Je peux saluer aussi GUILLAUME CHENEVIÈRE, saltimbanque et administrateur, organisateur de la fusion avec l’Atelier de Genève. Quel scandale quand il a invité le LIVING THEATER !
  • Rappelez-vous Philippe MENTHA, qui emmena la troupe sur trois continents…
  • Pensez à François ROCHAIX, qui a offert des audaces jusqu’à jouer au petit matin au fond d’une carrière…
  • Souvenez-vous de Georges WOD, qui arpentait le pont du Mont-Blanc pieds nus et en robe de bure pour se plaindre de la pingrerie – selon lui – des autorités…
  • Eh bien, cher.e.s ami.e.s, un jour, on se rappellera aussi que Jean LIERMIER a joué, dans la rue, un rôle particulier quand il planait une menace sur ce théâtre. Il a plaidé… moitié MÉDECIN MALGRÉ LUI…Moitié TINTIN AU PAYS DES RÉFÉRENDAIRES.

Le théâtre est une école de vie. Je conserve à cet égard un souvenir ému d’André CHAVANNE, qui a envoyé au théâtre des brassées d’élèves. Je crois avec lui que la culture, en plus d’être un exhausteur de curiosité, est un incubateur de cohésion sociale.

La crise covid a mis en lumière plus que jamais l’importance de de la culture pour l’épanouissement individuel et collectif. Dans ce contexte, j’entends défendre

  • La spécificité de l’économie culturelle qui, vivant en partie seulement de subventions et des recettes, a besoin de l’apport public, pas seulement du public;
  • La nécessité d’un canton qui protège la culture et qui assure le lien avec la Confédération et les autres cantons;
  • L’importance de la collaboration et de la complémentarité entre le canton, les communes genevoises, la Loterie romande et les mécènes, parfois injustement considérés ;
  • Et la pertinence d’un échange régulier avec les milieux culturels.

Bien sûr, la pandémie a freiné nos travaux et révélé de grandes précarités. Mais nous avons aussi des raisons de nous réjouir car plusieurs sites ont ouvert leurs portes ou sont en voie de le faire.

  • En Ville de Genève, la Nouvelle Comédie, le Pavillon de la Danse et la Maison Rousseau et Littérature…
  • A Vernier, bientôt Porteous et Concorde Culture…  
  • Au Grand-Saconnex, plus lointainement, le Musée de la Bande dessinée et de l’illustration.  

Dommage que nous ne puissions ajouter au tableau la rénovation de Forum Meyrin. Il faut toujours se méfier des référendums.

Mesdames et Messieurs,

Il appartient à présent au canton de préparer l’avenir et d’opérer dans le domaine de la culture une transition durable et sociale.

Il est essentiel d’améliorer en particulier les conditions de travail des artistes. Je souhaite que l’accès au statut d’indépendant ou d’intermittent soit facilité, et je reste très attentif aux efforts visant atteindre des rémunérations plus justes dans le secteur culturel.

Parallèlement à cela, il convient de mettre en œuvre l’IN 167 et le nouvel article 216 de la constitution genevoise, qui introduisent les principes de cofinancement des institutions et de la création.

A cette fin, une fois passée la première urgence – la mise en place du dispositif de soutien à la culture sinistrée pour cause de covid – j’ai initié une large concertation genevoise. Le dispositif de synthèse sera mis en consultation quand il aura reçu l’aval du Conseil d’Etat. Nous allons vers des changements législatifs. Il sera soumis par conséquent à l’approbation du Grand Conseil.

Enfin, une mission fondamentale du canton consiste à favoriser l’accès à la culture. Les nouveaux théâtres inaugurés à Genève en quelques mois, leur dynamisme et leur rayonnement vont nous y aider.

Carouge et la Comédie, en particulier, les deux grands nouveaux plateaux, ne se concurrencent pas. Ils se complètent.Cesont…

  • Deux maisons de grande envergure;
  • Deux fleurons de la scène genevoise, romande et régionale;
  • Deux épopées en devenir;  
  • Deux serviteurs d’un seul maître, le THÉÂTRE.

Mesdames et Messieurs,

“La ressemblance de nos destins doit contribuer encore à faire naître notre amitié”, dit SCAPIN.

C’est jour de fête aujourd’hui. Vivons-là pleinement.

  • A toutes et tous, ouvrières et ouvriers, techniciens et techniciennes, comédiens et comédiennes, scénographes, mécènes, sponsors, metteuses et metteurs en scène… Travailleurs et travailleuses dans l’ombre ou dans la lumière…
  • A vous qui œuvrez dans les bureaux, dans les ateliers, en
  • plateau et dans les coulisses…
  • A vous qui allez faire vivre cette maison de l’intérieur et de l’extérieur, et à vous bien évidemment, le public…

Je souhaite de belles émotions et me réjouis de les partager avec vous.

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