Thierry Apothéloz: “Nos nouveaux quartiers doivent absolument avoir l’ambition de recréer du lien, de la cohésion sociale et surtout de l’intergénérationnel”
Thierry Apothéloz: “Nos nouveaux quartiers doivent absolument avoir l’ambition de recréer du lien, de la cohésion sociale et surtout de l’intergénérationnel”
Discours réalisé dans le cadre de Ouverture du chantier participatif Habitat 4 Générations
le samedi 18 septembre 2021 à 09h Forum Grosselin, usine Parker, Carouge
On construit beaucoup à Genève actuellement. C’est une volonté, et c’est aussi l’effet d’un concours de circonstances. Parfois, les projets ont été lancés il y a 20 ans. De nouveaux quartiers apparaissent. Tant mieux, car la demande est forte. Cela dit, il y a 20 ans, on ne posait pas toujours les questions de la manière dont nous allons le faire ces prochains mois. On commençait parfois par les réponses. Mais il n’y a pas de bonne réponse sans bonne question. Alors, questionnons.
On parle souvent de typologie des logements en termes de profils sociaux. PPE, HLM, LUP, vous connaissez les acronymes et surtout ce qu’ils signifient. Hier par exemple, j’ai inauguré à Thônex le quartier Belle-Terre. C’est un exemple intéressant de mixité sociale. Il y a de tout. Le mélange reflète la société et il favorise une certaine cohésion. C’est bien, mais cette diversité demeure horizontale. Or, je souhaiterais qu’on parle aussi de la diversité verticale.
En vingt ans, l’espérance de vie a augmenté de 3 ans chez les femmes et de 5 ans chez les hommes. Les hommes vivent en moyenne 82 ans aujourd’hui et les femmes, 86 ans. Chaque année, on gagne trois mois. Voilà ce que nous disent les statistiques.
Ce qui est intéressant, au-delà du “combien”, c’est le “comment”. Car se projeter de 80 à 85 ans, c’est entrevoir des préoccupations dues au vieillissement physique, au risque du handicap, à la perspective de l’isolement, et à l’affaiblissement de nos capacités cognitives dans un monde technologique où, sans mise à jour, on est vite largués.
Il y a trois semaines, j’ai visité à Lancy un nouveau bâtiment. Il offre 119 appartements pour seniors et aussi des espaces communs, une salle polyvalente, une grande terrasse, un centre de santé, des soins à domicile et un restaurant. De tels immeubles existent ailleurs. Mais celui-ci présente une qualité supplémentaire : il est multi-générationnel.
Au rez-de-chaussée, il y a une crèche. Dans les étages, on trouve 28 studios pour étudiants, avec des loyers bon marché, à condition que les locataires consacrent quelques heures par mois à leurs voisins âgés. En allant faire les courses, par exemple, ou en configurant leur smartphone. Cette proximité intergénérationnelle est un ciment de la cohésion sociale et un facteur de santé. Donc de confort, et de réduction des coûts.
On ne peut plus construire comme avant. L’habitat bourgeois du XIXe siècle est dépassé. La vision fonctionnelle du logement-repli après le travail est obsolète. Les espaces cloisonnés aux fonctions prédéfinies – ici on dort, là on mange, là on regarde la télé – ne sont plus un modèle. Et les quartiers mono-culturels ne favorisent pas la cohésion sociale. Tout change. La spatialité, les outils, la société, tout. Pas seulement parce qu’on travaille de plus en plus à la maison, phénomène que la pandémie a catalysé et qui va se généraliser. Mais aussi parce que les “baby-boomers” pour lesquels on a construit en masse et sans perspectives, ces baby-boomers des Trente glorieuses se préparent à leur tour à la retraite. Avant, celle-ci pouvait durer dix ans. Maintenant, c’est vingt ans et plus – et bien sûr, retraite ne veut pas dire inactivité.
Ainsi, la famille ordinaire, qui comptait trois générations, se compose de souvent de quatre générations dont deux à la retraite. Les défis sont vertigineux pour les assurances et pour l’encadrement médico-social. Ils le sont aussi pour la conception du cadre de vie et de l’interaction sociale, laquelle a trois mérites, quand elle est réussie : l’amélioration de la qualité de vie, l’apport intergénérationnel et l’économie d’échelle.
Aujourd’hui et durant les prochains mois, vous toutes et tous, architectes, ingénieurs, fonctionnaires cantonaux de trois départements (cohésion sociale, santé et territoire), représentants et représentantes de fondations, associations, coopératives, entreprises… Vous allez réfléchir aux enjeux de l’habitat de demain. Vous allez confronter vos expertises. Des psys, des sociologues, des juristes vous rejoindront peut-être, et bien sûr de futurs habitants et habitantes. C’est participatif. Vous allez travailler collectivement à nos manières de nous loger, à l’échelle de l’appartement, de l’immeuble, du quartier et de la ville.
La mission du Forum Grosselin, qui nous accueille, consiste à imaginer la transition écologique et sociale de nos quartiers. La participation est une méthode et c’est aussi une formule-clé. Elle signale et elle définit l’objectif quadri-générationnel que j’ai esquissé : intégrer horizontalement et verticalement et – aux sens propre et figuré –décloisonner.
Le projet-modèle que vous allez proposer peut inspirer d’autres villes et d’autres cantons. Je sais gré à la Confédération d’avoir lancé un appel et aux porteurs de projet – Daniela LIEGME, Laura MECHKAT, Bill BOULDIN, Cyrus MECHKAT…– de l’avoir saisi. Je remercie aussi très chaleureusement toutes celles eux ceux qui s’associent à la démarche.
Ce processus interdisciplinaire s’inscrit dans une démarche durable. C’est un de ses intérêts. Il faudra vérifier la pertinence du projet dans un périmètre donné. Nous avons comme objet d’attention un futur nouveau quartier à Onex. C’est une bonne base de travail, mais pas la seule. Il faudra explorer, analyser, évaluer, comparer et surtout, imaginer.
Vous connaissez le slogan… typiquement baby-boomer d’ailleurs…. “L’imagination au pouvoir”. Il vient d’un propos de Sartre à Cohn-Bendit, qui lui disait en plein Mai-68 : “Ce qu’il y a d’intéressant dans votre action, c’est qu’elle met l’imagination au pouvoir”.
Aujourd’hui, celles et ceux qui avaient 20 ans en Mai-68 en ont 73. La majorité est plus âgée. Mais nous ne sommes plus en Mai 68. Nous ne sommes pas dans l’affrontement mais dans la concertation. Aujourd’hui, les pouvoirs publics s’associent à la démarche. Et cette notion de concertation, c’est précisément ce qu’il convient d’approfondir.
Je vous souhaite d’excellents travaux et me réjouis d’en connaître le résultat, dans un calendrier serré, début 2022.
Thierry Apothéloz: “Nos nouveaux quartiers doivent absolument avoir l’ambition de recréer du lien, de la cohésion sociale et surtout de l’intergénérationnel”
On construit beaucoup à Genève actuellement. C’est une volonté, et c’est aussi l’effet d’un concours de circonstances. Parfois, les projets ont été lancés il y a 20 ans. De nouveaux quartiers apparaissent. Tant mieux, car la demande est forte. Cela dit, il y a 20 ans, on ne posait pas toujours les questions de la manière dont nous allons le faire ces prochains mois. On commençait parfois par les réponses. Mais il n’y a pas de bonne réponse sans bonne question. Alors, questionnons.
On parle souvent de typologie des logements en termes de profils sociaux. PPE, HLM, LUP, vous connaissez les acronymes et surtout ce qu’ils signifient. Hier par exemple, j’ai inauguré à Thônex le quartier Belle-Terre. C’est un exemple intéressant de mixité sociale. Il y a de tout. Le mélange reflète la société et il favorise une certaine cohésion. C’est bien, mais cette diversité demeure horizontale. Or, je souhaiterais qu’on parle aussi de la diversité verticale.
En vingt ans, l’espérance de vie a augmenté de 3 ans chez les femmes et de 5 ans chez les hommes. Les hommes vivent en moyenne 82 ans aujourd’hui et les femmes, 86 ans. Chaque année, on gagne trois mois. Voilà ce que nous disent les statistiques.
Ce qui est intéressant, au-delà du “combien”, c’est le “comment”. Car se projeter de 80 à 85 ans, c’est entrevoir des préoccupations dues au vieillissement physique, au risque du handicap, à la perspective de l’isolement, et à l’affaiblissement de nos capacités cognitives dans un monde technologique où, sans mise à jour, on est vite largués.
Il y a trois semaines, j’ai visité à Lancy un nouveau bâtiment. Il offre 119 appartements pour seniors et aussi des espaces communs, une salle polyvalente, une grande terrasse, un centre de santé, des soins à domicile et un restaurant. De tels immeubles existent ailleurs. Mais celui-ci présente une qualité supplémentaire : il est multi-générationnel.
Au rez-de-chaussée, il y a une crèche. Dans les étages, on trouve 28 studios pour étudiants, avec des loyers bon marché, à condition que les locataires consacrent quelques heures par mois à leurs voisins âgés. En allant faire les courses, par exemple, ou en configurant leur smartphone. Cette proximité intergénérationnelle est un ciment de la cohésion sociale et un facteur de santé. Donc de confort, et de réduction des coûts.
On ne peut plus construire comme avant. L’habitat bourgeois du XIXe siècle est dépassé. La vision fonctionnelle du logement-repli après le travail est obsolète. Les espaces cloisonnés aux fonctions prédéfinies – ici on dort, là on mange, là on regarde la télé – ne sont plus un modèle. Et les quartiers mono-culturels ne favorisent pas la cohésion sociale. Tout change. La spatialité, les outils, la société, tout. Pas seulement parce qu’on travaille de plus en plus à la maison, phénomène que la pandémie a catalysé et qui va se généraliser. Mais aussi parce que les “baby-boomers” pour lesquels on a construit en masse et sans perspectives, ces baby-boomers des Trente glorieuses se préparent à leur tour à la retraite. Avant, celle-ci pouvait durer dix ans. Maintenant, c’est vingt ans et plus – et bien sûr, retraite ne veut pas dire inactivité.
Ainsi, la famille ordinaire, qui comptait trois générations, se compose de souvent de quatre générations dont deux à la retraite. Les défis sont vertigineux pour les assurances et pour l’encadrement médico-social. Ils le sont aussi pour la conception du cadre de vie et de l’interaction sociale, laquelle a trois mérites, quand elle est réussie : l’amélioration de la qualité de vie, l’apport intergénérationnel et l’économie d’échelle.
Aujourd’hui et durant les prochains mois, vous toutes et tous, architectes, ingénieurs, fonctionnaires cantonaux de trois départements (cohésion sociale, santé et territoire), représentants et représentantes de fondations, associations, coopératives, entreprises… Vous allez réfléchir aux enjeux de l’habitat de demain. Vous allez confronter vos expertises. Des psys, des sociologues, des juristes vous rejoindront peut-être, et bien sûr de futurs habitants et habitantes. C’est participatif. Vous allez travailler collectivement à nos manières de nous loger, à l’échelle de l’appartement, de l’immeuble, du quartier et de la ville.
La mission du Forum Grosselin, qui nous accueille, consiste à imaginer la transition écologique et sociale de nos quartiers. La participation est une méthode et c’est aussi une formule-clé. Elle signale et elle définit l’objectif quadri-générationnel que j’ai esquissé : intégrer horizontalement et verticalement et – aux sens propre et figuré –décloisonner.
Le projet-modèle que vous allez proposer peut inspirer d’autres villes et d’autres cantons. Je sais gré à la Confédération d’avoir lancé un appel et aux porteurs de projet – Daniela LIEGME, Laura MECHKAT, Bill BOULDIN, Cyrus MECHKAT…– de l’avoir saisi. Je remercie aussi très chaleureusement toutes celles eux ceux qui s’associent à la démarche.
Ce processus interdisciplinaire s’inscrit dans une démarche durable. C’est un de ses intérêts. Il faudra vérifier la pertinence du projet dans un périmètre donné. Nous avons comme objet d’attention un futur nouveau quartier à Onex. C’est une bonne base de travail, mais pas la seule. Il faudra explorer, analyser, évaluer, comparer et surtout, imaginer.
Vous connaissez le slogan… typiquement baby-boomer d’ailleurs…. “L’imagination au pouvoir”. Il vient d’un propos de Sartre à Cohn-Bendit, qui lui disait en plein Mai-68 : “Ce qu’il y a d’intéressant dans votre action, c’est qu’elle met l’imagination au pouvoir”.
Aujourd’hui, celles et ceux qui avaient 20 ans en Mai-68 en ont 73. La majorité est plus âgée. Mais nous ne sommes plus en Mai 68. Nous ne sommes pas dans l’affrontement mais dans la concertation. Aujourd’hui, les pouvoirs publics s’associent à la démarche. Et cette notion de concertation, c’est précisément ce qu’il convient d’approfondir.
Je vous souhaite d’excellents travaux et me réjouis d’en connaître le résultat, dans un calendrier serré, début 2022.
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