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La certification professionnelle des élus politiques encore trop rare

18 septembre 2017 Thierry 0 Comments

Discours réalisé le 18 septembre 2017 lors d’un événement de l’Association Suisse des Cadres en lien avec la certification des élus politiques

C’est un plaisir pour moi que de prendre la parole devant l’Association suisse des Cadres. Je le fais sous diverses casquettes, du fait de ma fonction de magistrat communal de la quatrième ville de Suisse Romande, de travailleur social spécialisé en intervention de protection de l’enfance ou en tant qu’ancien capitaine de l’armée. Voilà quelques unes des fonctions que j’ai occupés durant ma carrière, et qui toutes m’ont apporté à occuper des rôles de cadre.

Notre pays sacralise les diplômes souvent plus que l’expérience ou la posture. Et pour ce qui est de la validation des acquis, la Suisse est encore aux balbutiements d’une réelle reconnaissance professionnelle des parcours de vie. C’est là une réalité pénible pour celles et ceux qui ont, volontairement ou non, emprunté des chemins de traverse et gravi un à un les échelons d’une hiérarchie. En Suisse, on devient plus facilement cadre avec un papier universitaire qu’en développant ses compétences par le chemin de l’expérience. Sans dans certaines grandes entreprises qui détectent les potentiels à l’interne et les accompagnent progressivement sur le chemin de la réussite. Mais cela reste, il me semble, plus une exception qu’une règle.

Dans le milieu politique où j’évolue, la règle est différente. Le sommet de la hiérarchie d’une administration communale est composé de personnes qui ne sont pas choisies pour leurs compétences ou leur expérience. Nous sommes simplement des élu-e-s du peuple et n’importe qui peut théoriquement postuler aux plus hautes fonctions en affrontant le verdict populaire, qui demeure le seul et unique entretien d’embauche pour ce type de poste.

Voilà une réalité bizarre, nécessairement déconnectée de la logiques des entreprises, mais qui constitue au final, ne l’oublions pas, le fondement de notre fonctionnement démocratique. Avec ses avantages, certes, en termes de légitimité. Mais avec ses inconvénients également, en termes d’efficacité ou de compétences. Churchill ne disait-il pas de la démocratie qu’elle était le pire des systèmes politiques… à l’exception de tous les autres ?

Devenir maire à 32 ans

Aussi, se voir, comme cela m’est arrivé, propulsé à la tête d’une administration communale, est un exercice complexe. Se retrouver à prendre des décisions financières importantes, sur des montants de plusieurs millions, se retrouver à gérer soudainement des centaines de collaboratrices et collaborateurs, se voir attribuer des responsabilités énormes en termes d’aménagement, de construction, de choix stratégiques divers, voilà une tâche à laquelle il est difficile de se préparer. Je le dis avec d’autant plus de certitude que, pour ma part, je n’avais que 32 ans lorsque j’ai été élu pour la première fois à la mairie de Vernier.

Mais, dans tous les cas de figure, les élus des exécutifs communaux comprennent finalement très vite les règles du jeu managérial, leurs contraintes, la marge de manœuvre qui est la leur et les possibilités de développer leurs activités. Il existe, dans ce rôle, un phénomène de « pédagogie à balles réelle » qui vous fait rapidement développer les compétences nécessaires à une gestion efficace, saine, bienveillante et productive des deniers publics.

Forcément, gérer un budget de 120 millions de francs par an, manager 600 collaboratrices et collaborateurs, engager une collectivité publique sur des projets immobiliers de plus d’un milliard, voici quelques unes des caractéristiques d’une fonction telle que la mienne. Cela nécessite, vous vous en doutez, de devoir développer des compétences particulières, dans un environnement complexe et changeant.

De facto, donc, les élus à des exécutifs communaux sont contraints de devenir des cadres, d’endosser des responsabilités énormes, de devoir faire des choix stratégiques et opérationnels souvent difficiles, parfois douloureux, soumis à des pressions de toute part, à l’externe autant qu’à l’interne. Il s’agit aussi d’assumer un rôle parfois ingrat, rarement reconnu, plus souvent critiqué que valorisé. Il faut faire face aux colères, aux déceptions, aux revendications qui vous arrivent sans discontinuer, de la rue, de la population, de l’administration, du politique, de vos collègues, du canton, de la Confédération, des associations, des groupements d’habitants, des entreprises, et j’en passe.

Mais c’est aussi un rôle passionnant que le nôtre. Celui de présider aux destinées d’une collectivité et de trouver la satisfaction du devoir accompli dans la confiance de la population, qui demeure en tout état de cause, votre seul patron. Et qui décide, souverainement, si votre contrat mérite d’être reconduit aux élections prochaines…

Certifier l’expérience des exécutifs politiques, une pratique encore trop rare

Il m’apparaît donc évident que de gérer une commune, être magistrat, revient à revêtir un rôle de cadre. Un cadre un peu spécial, qui se retrouve à cette place avec un parcours nécessairement hors normes, sans diplôme aucun qui atteste de ses compétences. Mais des compétences qui, justement, sont progressivement acquises et qui méritent, je le pense, d’être reconnues comme telles.

Les magistrats ne sont pas à plaindre. Mais dans un système comme le nôtre, dans lequel les mandats ont presque toujours une fin, il s’agit aujourd’hui de penser à l’après, à la reconversion pas toujours évidente et/ou au retour à « la vie civile ». En ceci, je plaide naturellement pour une reconnaissance réelle des compétences et de l’expérience que nécessitent la fonction que nous occupons.

J’appelle de mes vœux à ce que notre système reconnaissent les qualités de celles et ceux qui n’ont, au final, pour tout diplôme, que la satisfaction du devoir accompli et peuvent se targuer d’avoir présidé au destin des collectivités publiques locales de ce pays.

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