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Contre-rapport sur la pauvreté à Genève – 10 axes pour un nouveau contrat social

Thierry Apothéloz,
Genève, le 17 octobre 2017
Journée mondiale du refus de la misère

 

Introduction

Le doute n’est plus possible. Le progrès de notre société ne suffit plus à combattre la pauvreté. Ce monde en changement condamne les plus vulnérables à une triple peine.

  1. La loi du marché renforce la concurrence exacerbée sur les marchés du travail ou du logement entre les individus : les exclus, les dépendants, les assistés, les chômeurs sont relégués car improductifs.
  2. On assiste au retrait de l’Etat social, lequel offre de moins en moins de prestations et voit les mailles du filet s’étirer.
  3. En raison de quelques cas de fraude, alimentés par une crainte héritée du Moyen-Âge de favoriser l’oisiveté en aidant les pauvres « qui ne méritent pas », on installe une ère du soupçon, alors qu’il n’y a certainement pas plus fraude dans le social que celle que l’on connaît en matière fiscale.

La Suisse, aussi riche soit-elle, compte ses pauvres : 530’000 personnes, soit 6,6 % de la population résidente et 13,5 % sont menacés de pauvreté. Sont particulièrement concernés les enfants de familles défavorisées, les familles monoparentales et les personnes sans formation.

Alors même que notre canton se targue d’être l’une des régions au dynamisme économique le plus fort du monde, Genève n’échappe pas à un phénomène de paupérisation d’une partie de sa population. Le taux de la population à l’aide sociale a quasiment doublé en l’espace d’à peine 10 ans et les durcissements des critères d’obtention des assurances sociales au niveau fédéral (AI, notamment) n’expliquent pas tout.

Fin 2016, le Conseil d’Etat publiait un rapport sur la pauvreté à Genève. Le constat – largement partagé par l’ensemble des acteurs du système social genevois – était que la précarité et ses conséquences sont en train de mettre progressivement à mal notre cohésion sociale. La situation est alarmante à plus d’un titre et les chiffres de ce rapport, qui corroborent d’autres études similaires, font état d’une précarisation durable d’une partie croissante de la population genevoise.

Si ce rapport est parvenu à dresser un premier panorama (partiel, car il manque par exemple un pan entier sur la précarisation des personnes âgées) du problème de la pauvreté à Genève, il faut admettre que la machine à exclure est lancée et qu’elle fonctionne à plein régime, sans que le gouvernement ne s’en rende compte. Plus grave : par ses décisions, il l’alimente. L’heure n’est plus aux constats, qui sont aujourd’hui évidents. Il est temps de proposer des mesures concrètes et efficaces pour inverser cette tendance, car il y a urgence : faire baisser le nombre de personnes à l’aide sociale, éviter la reproduction des inégalités sociales et réduire le temps d’accompagnement.

C’est l’objectif du présent rapport.

En cette journée mondiale du refus de la misère, je présente aujourd’hui dix axes pour un nouveau contrat social à Genève. Il s’agit ici de pistes réfléchies, basées sur une pratique – tant professionnelle que politique – de l’action sociale de terrain. Ces propositions ne sont pas exhaustives. Elles sont toutefois le fruit de nombreux échanges que j’ai pu avoir ces dernières années avec des spécialistes, des chercheurs, des politiques ou des experts de la question sociale. Il s’agit donc d’un travail de synthèse programmatique. Entendez par là que je souhaite faire avancer le débat par des mesures directement applicables et dont la pertinence me semble avérée. Il n’aborde toutefois pas directement les thématiques légitimes du logement (son accès en particulier) ou la santé (prise en charge des primes LAMAL ou d’accès aux soins). Pour les primes LAMAL, le lancement de deux initiatives cantonales permettra de répondre en partie à la problématique. Quant à l’accès aux soins, la ville de Vernier présentera prochainement un rapport sur la santé de ses habitant.e.s et leur accès aux soins. Le présent rapport n’élargit pas non plus aux questions plus larges de l’intégration, de la culture ou du sport. Tout comme la question de la petite enfance et de son rôle dans la compensation d’un éventuel déficit de formation ou d’apprentissage qui n’est pas abordée d’une manière précise. La mise en œuvre de l’initiative 143 pour une véritable politique d’accueil de la petite enfance devrait augmenter à terme l’offre de places en institution de la petite enfance.

Disons-le d’emblée, l’action sociale a un coût. Un coût élevé parfois, c’est un fait. Mais il convient de répéter ici combien ce coût est dérisoire pour notre société si on consent à le considérer comme un investissement pour le futur. Car investir dans le social, c’est prévenir des problématiques aussi nombreuses et diverses que celles relatives à la santé, à la sécurité ou à l’éducation. Là aussi, le constat est évident. C’est juste que l’air du temps fait qu’il n’est pas porté par les politiques.

Il faut dire que, à Genève comme en Suisse, la thématique de l’action sociale n’est pas très porteuse. Du moins, elle ne l’est plus. Il y a une sorte de fatalisme social qui transcende toute volonté politique d’agir. Lorsqu’il ne s’agit pas tout simplement de discours profondément réactionnaires, culpabilisants, ou stigmatisants, comme on les voit aujourd’hui poindre, notamment Outre-Sarine.

Notre système de protection sociale est progressivement mis à mal par des réformes aux objectifs strictement économiques. Rien qu’à Genève, pour exemple, cela fait trois ans de suite que l’action sociale a vu son champ d’application se restreindre : diminution du supplément d’intégration, instauration d’une prime cantonale de référence pour l’assurance-maladie, non prise en compte du niveau des loyers et diminution des subsides pour les familles précaires. Quatre mesures destinées à faire des économies, de l’aveu même du Conseil d’Etat, et ce, sur le dos des plus faibles.

Alors, oui, il va falloir penser autrement et dorénavant investir, parfois massivement, pour rénover notre système de protection sociale. La précarité n’est pas un phénomène inéluctable. La combattre est un choix politique.

Ce rapport fait le pari qu’en investissant aujourd’hui dans une politique ambitieuse de réduction de la pauvreté et la précarité à Genève, les finances publiques seront à moyen terme épargnées et la dignité d’une portion croissante de notre population retrouvée. C’est enfin de conduire une politique de l’avenir et refuser de le livrer au hasard ou à la fatalité.

Thierry Apothéloz
Le 17 octobre 2017, journée mondiale du refus de la misère.

 

10 axes pour réformer notre système social

1. Refonder le dispositif d’accompagnement social

Constat

Aujourd’hui, l’accompagnement social est fractionné entre différents acteurs institutionnels, dont les compétences, les champs d’action et les objectifs sont très dissemblables. On citera pour exemple : les assistants sociaux de l’Hospice général, les conseillers en insertion professionnelle de l’office de l’emploi, les travailleurs sociaux des communes, les éducateurs de Point-Jeunes, les travailleurs sociaux hors murs pour les jeunes ou les collaboratrices et les collaborateurs du secteur privé associatif.

En outre, bien souvent, la centralisation de certaines de ces institutions implique des déplacements souvent nombreux de la part de personnes qui, par définition, sont souvent fragilisées et pour lesquelles, dans certains cas, cela constitue une barrière supplémentaire dans leur processus d’autonomisation.

Conséquence pour les institutions : un manque évident de coordination institutionnelle, ce d’autant que des démarches similaires (notamment production de documents) doivent être souvent répétées à plusieurs reprises pour assurer l’accès au droit d’être suivi.

Conséquence pour les personnes : une redondance des accompagnements personnalisés, qui peuvent avoir un effet stressant, décourageant ou infantilisant. Pour une efficacité qui reste à démonter. C’est la raison pour laquelle je préconise un regroupement.

Il est par ailleurs urgent de travailler les transitions de vie, car ce sont à ces moments-là que le risque de pauvreté surgit : pour les personnes porteuses d’un fort bagage scolaire, le risque se situe à l’entrée de la vie professionnelle et au début (pour les femmes) de la vie familiale. Pour les personnes de formation plus inférieure, c’est la succession de périodes de risques qui les rendent plus vulnérables (contrats de travail précaire, contrat sur appel, …).

Enfin, l’élimination des effets de seuil apparaît comme prioritaire. Il s’agit d’éviter ici que la reprise ou l’augmentation d’une activité professionnelle diminue le revenu disponible d’un ménage.

Mesures proposées

  • Un regroupement des institutions de suivis individuels (Hospice général, insertion professionnelle de l’OCE et service de réinsertion professionnelle de l’HG) au sein d’un centre local d’action pour l’emploi, la santé et l’action sociale, un CAS.
  • La création de CAS décentralisés, sur le modèle des unités de l’Hospice Général, en priorité dans les quartiers précarisés au sens de la PCSMU.
  • Monter une task-force « pauvreté et précarité » du Conseil d’Etat pour travailler à des solutions interdépartementales : action sociale, éducation, économie.
  • Mener avec les communes et les acteurs associatifs de véritables campagnes de prévention, notamment du désendettement.
  • Un renforcement de la qualité de l’intervention sociale accroit l’autonomie et la responsabilisation du bénéficiaire.
  • Accompagner le développement de son réseau professionnel et personnel vu la propension des employeurs à privilégier des candidatures recommandées.

Grâce à leur ancrage local, ces CAS visent non seulement à regrouper les dispositifs de suivi individuel sociaux et d’insertion et les rapprocher des citoyens, mais ils pourraient abriter également les institutions de santé (IMAD et Associations). On sait en effet aujourd’hui combien les questions de santé et d’accompagnement social sont liées. 40% des bénéficiaires de l’aide sociale ont des problèmes de santé, ce qui démontre bien que ces problématiques sont aujourd’hui devenues indissociables. La division entre santé et social ne fait plus sens aujourd’hui et ces thématiques doivent trouver rapidement des convergences.

 

2. Appliquer la Loi sur la politique de cohésion sociale en milieu urbain

Constat

Il existe à Genève une loi sur « la politique de cohésion sociale en milieu urbain » (LCSMU) adoptée en 2012. Législation ambitieuse, destinée à consacrer la collaboration entre le canton et les communes dans la lutte contre les inégalités, la LCSMU est le fruit d’un large consensus politique.

Son objectif est de combattre les inégalités territoriales qui existent dans notre canton, et qui sont un réel obstacle à l’idéal démocratique que se doit de poursuivre notre République. En effet, les rapports successifs du Centre d’analyse territorial des inégalités de l’Université de Genève (CATI-GE) ont clairement démontré les immenses disparités de condition (sociale, économique, sanitaire) qui existent au sein des 475 quartiers et secteurs statistiques qui composent le canton de Genève. Ces inégalités et leur non pris en compte dans les politiques publiques sociales sont un frein manifeste à la lutte contre la précarité. Si des lois cadres régissent aujourd’hui notre filet social, il est illusoire de ne les penser qu’à l’échelle du canton, sans prendre en compte les spécificités communales ou de quartier dans leur application. Appliquer la LCSMU, c’est donc aussi vouloir concentrer avec plus de moyens l’action publique là où les besoins sont les importants.

Sur le plan opérationnel, la LCSMU prévoit une collaboration active entre le canton et les communes éligibles (art.3). A l’article 6, il est précisé que cette collaboration est formalisée par la signature de conventions entre les parties définissant « le territoire concerné, les objectifs poursuivis, le programme d’actions, les projets, les modalités de mise en œuvre, les délais ainsi que les ressources allouées par chacune des parties. ».

Cependant, depuis l’adoption de la LCSMU, aucune convention n’ait à ce jour été signée, alors que deux rapports successifs du CATI-GE (en 2011 et 2014) ont clairement identifié les quartiers et communes éligibles.

Le Conseil d’Etat, malgré un rappel parlementaire, se refuse obstinément à mettre en œuvre cette loi, qui permettrait de lutter efficacement contre les discriminations territoriales en instaurant le principe d’une proportionnalité de moyens en termes d’action sociale (notamment) à destination des quartiers qui en ont le plus besoin.

Il appert en outre que le CATI-GE, dont le rôle fondamental est pourtant spécifié aux articles 2 et 3 du RCSMU, n’existe plus et ne peut dès lors pas permettre la mise en œuvre de la loi.

Ainsi, à ce jour, près de quatre ans après l’adoption de la LCSMU, force est de constater que sa mise en œuvre est au point mort.

Mesure proposée :

  • Une mise en œuvre immédiate de la loi sur la politique de cohésion sociale en milieu urbain, afin de doter Genève d’une adaptabilité de sa politique sociale en fonction des besoins du terrain (en collaboration avec les acteurs locaux et les communes).

 

3. Renforcer la formation continue

Constat

Il est établi que le monde et le marché du travail ne cessent aujourd’hui de se modifier, notamment du fait des impacts des nouvelles technologies sur notre quotidien. Comme le montre la très sérieuse enquête du Forum de Davos, des millions d’emplois vont disparaître et d’autre émerger, du fait notamment de la robotisation, de l’intelligence artificielle ou de l’automatisation des tâches.

En ceci, il convient de veiller à ce que les employés d’aujourd’hui puissent accéder à une offre variée et soutenue par les pouvoirs publics de formation ou reformation continue, afin de ne pas perdre pied face aux défis technologiques de l’avenir. Caritas l’affirme : « La formation protège de la pauvreté ».

En Suisse et à Genève, nous sommes très loin d’avoir su comprendre les impératifs de notre temps sur ce sujet. La législation, tant dans le domaine du social que de l’insertion professionnelle, est avare en possibilités. Tout au plus intervient-on en bout de course, lorsqu’il est avéré que les personnes manquent de qualification pour faire face au marché du travail, mais qu’elles sont déjà suivies par des institutions sociales.

Résultat – comme le montre le rapport sur la pauvreté – les personnes avec peu ou pas de qualifications sont surreprésentées au niveau de l’aide sociale. Les personnes sans formation post-obligatoire sont 11,8 % dans la population résidente permanente alors qu’elles représentent 46,2% des bénéficiaires. La part des personnes sans formation est donc quatre fois plus élevée dans l’aide sociale que dans la population (OFS, 2015). Et il manque une volonté politique de sauter le pas du financement de formations réellement qualifiantes et/ou certifiantes pour les personnes les plus fragilisées sur ce segment.

Ce d’autant que les formations proposées dans le cadre de l’OCE sont considérés par beaucoup comme trop courts et peu ambitieux. Elles n’offrent que trop peu la possibilité de développer de nouvelles compétences. Peu, en outre, sont en relation avec le marché du travail.

Mesures proposées :

  • Augmenter les formations couvertes par le fonds de formation et le perfectionnement professionnels.
  • Déduire plus largement les frais de formation dans la déclaration d’impôts.
  • Le doublement des aides financières pour la formation des individus (ex : chèque formation).
  • Une loi-cadre sur la validation des acquis de l’expérience (VAE), qui permette d’accélérer les reconnaissances de parcours professionnels en vue d’une certification (à élaborer au niveau des partenaires sociaux et des corps de métier).
  • Permettre que des bénéficiaires (HG ou OCE) suivent des formations qualifiantes et certifiantes.
  • Exiger de la Confédération une amélioration dans l’acceptation de l’équivalence des diplômes et certificats étrangers.

 

4. Déployer un véritable suivi et une coordination des problématiques sociales

Constat

Aujourd’hui, le monitoring des problèmes liés au social est épars, pas ou peu coordonnés et ne permette pas de se doter d’un véritable plan d’action pour lutter contre la pauvreté, la précarité ou en faveur d’une meilleure cohésion sociale.

L’Observatoire de l’aide sociale (OASI) est une association privée, le Collectif des associations pour l’aide sociale (CAPAS) est un collectif d’associations, tandis que le seul instrument étatique d’analyse du domaine, le CATI-GE a été suspendu, faute de mandats financés par l’Etat. Cette situation fait qu’il n’existe à l’heure actuelle que peu de vision d’ensemble du phénomène de précarisation de la population, dont on se rend compte aujourd’hui qu’il ne cesse de croître. Certes, il y a eu des évaluations de certains dispositifs (ex : Cour des comptes pour l’insertion ou Evaluanda pour la LIASI), mais ces rapports sont incomplets et méritent un développement de fond supplémentaire. Avec une mise à l’agenda claire des problèmes existants et des manières d’y répondre (comme cela est le cas pour la santé). Le manque de continuité et de cohérence dans le suivi des situations engendre non seulement du travail administratif inutile, mais une perte de compétences et de rapidité dans la prise en charge.

Mesures proposées

  • La mise en place d’un monitoring interinstitutionnel, réunissant l’ensemble des partenaires impliqués, sous forme d’une commission officielle, comprenant des membres de l’administration (petit et grand Etat), des communes et du milieu associatif en lien avec les problématiques.
  • Mandater cette commission pour être – à l’instar de ce qui existe dans d’autres domaines (famille, jeunesse, etc.) – l’interlocuteur privilégié des autorités dans la mise en œuvre des politiques de lutte contre la précarité.
  • Fort de la richesse des acteurs institutionnels, communaux, cantonaux et associatifs, proposer une véritable coordination interinstitutionnelle.
  • Mettre en place un processus continu et participatif de l’évaluation du dispositif social pour le faire évoluer en fonction des besoins.

 

5. Mettre en place une politique active de lutte contre la précarisation précoce (public jeune)

Constat

Aujourd’hui, notre filet social n’est pas adapté aux problématiques spécifiques de la jeunesse, notamment celle qui se retrouve en rupture au carrefour de l’adolescence. La LIASI, depuis 2012, pénalise financièrement les jeunes au prétexte que cela constitue une mesure incitative destinée à les encourager à trouver une formation ou un emploi. Or, les chiffres nous montrent que cette mesure est inefficace (La proportion de jeunes dans les dossiers financiers suivis à l’aide sociale est passée de 14% en 2012, à 15% en 2016. Ces chiffres sont issus du rapport d’activités 2016 de l’Hospice général – RA Hospice générale p.16). On sait en revanche que pour les jeunes il y a un risque majeur que ceux-ci s’installent durablement à l’aide sociale, du fait notamment de leur manque de formation initiale. Ils se retrouvent pénalisés ensuite dans leur insertion professionnelle. Il y a donc urgemment lieu d’investir massivement cette problématique. D’inscrire les jeunes à l’aide sociale n’est pas une proposition sociétale acceptable : c’est la voie de la formation ou de l’insertion professionnelle qui doit être privilégiée.

Mesures proposées

  • Se fixer comme objectif politique que d’ici 10 ans, « zéro jeune à l’aide sociale, 100 % en formation ou en emploi ».
  • Inscrire les jeunes à l’aide sociale dans un modèle incitatif de formation et d’insertion professionnelle sur le même modèle que ce qui a été réalisé dans le canton de Vaud (programme FORJAD).

 

6. Agir efficacement contre la précarisation des seniors

Constat

Avec le vieillissement programmé de notre population, on commence à se rendre compte du fait que les seniors constituent une importante population à risque en termes sociaux. Une fois encore, les chiffres fournis par l’Hospice général sont éloquents : 40% des dossiers à l’aide sociale sont des personnes seules de plus de 50 ans. Cette proportion a explosé de plus de 30% en l’espace de cinq ans. On a donc à faire à une paupérisation structurelle dans cette catégorie de la population.

Mais la question de la précarité des seniors est également visible dans la population en général, puisque cette catégorie de la population est deux fois plus sujette au risque de pauvreté que l’ensemble de la population.

Ce phénomène de paupérisation, lié aux autres problématiques identifiées en termes de vieillissement (mobilité, isolement, etc.) va aller croissant ces prochaines années. Si le canton de Genève s’est doté d’un outil de pilotage pour suivre les enjeux du vieillissement en matière de santé], la dimension sociale est en revanche laissée en dehors de toute analyse prospective, alors que les besoins identifiés sont réels. Ces derniers ont été clairement apportés par la dernière publication de la Plateforme des aînés.

Mesures proposées

  • Un renforcement des prestations complémentaires cantonales, spécifiquement destinées aux personnes en âge AVS.
  • La mise en œuvre de projets pilotes en lien avec les enjeux sociaux du vieillissement de la population, à l’instar de ce qui existe déjà dans diverses communes urbaines (visiteurs sociaux à Bernex, Projet « Seniors + » à Vernier, etc.)
  • Créer une rente-pont des chômeurs âgés, proches de la retraite, pour une fin de vie professionnelle dans la dignité.
  • Proposer un plan interdépartemental des Seniors pour faire évoluer les politiques publiques en fonction des problématiques constatées: aménagement et urbanisme, isolement, logements, proches-aidants, santé, formation.

 

7. Renforcer le rôle des associations dans la lutte contre la précarité

Constat

Actuellement, l’Etat accomplit une part importante du travail social. Mais il ne le fait pas seul. D’autres acteurs interviennent complémentairement à cette action, c’est le cas des communes. D’autres enfin agissent subsidiairement – c’est-à-dire offrent des prestations supplémentaires dans des secteurs très spécifiques et spécialisés – c’est le cas des nombreuses associations et fondations qui œuvrent dans le domaine social.

Celles-ci agissent dans des segments nécessaires tels que par exemple le désendettement (CARITAS, CSP), la précarité de rue (Bateau Genève, Carrefour-Rue, Armée du Salut) la défense des migrants (Appartenances, Camarada, CCSI, Elisa-Asile) ou les questions de soutiens aux femmes (F-information, SOS Femmes, Voie-F). Ces associations sont réunies sous la bannière du Collectif des associations pour l’action sociale (CAPAS).

Mais leur action, bien souvent, outre la simple question des moyens financiers, est entravée par la lourdeur administrative autant qu’opérationnelle des contrats de prestation qui les lient à l’Etat. Il est donc temps aujourd’hui de prioriser un partenariat basé sur l’autonomie et la confiance avec des collectifs dont la qualité du travail est reconnue par l’ensemble du dispositif.

Mesures proposées

  • Remplacer les contrats de prestation par des lettres de mission quadriennales, permettant plus de souplesse dans l’accomplissement des tâches effectuées par le monde associatif.
  • A défaut, assouplir les conditions de financement inscrites dans la Loi sur les indemnités et aides financières (LIAF), notamment pour les associations avec peu de moyens.
  • Renforcer le soutien à ces acteurs qui agissent chacun dans leurs propres domaines de compétences et dont les interventions sont fondamentales pour l’action sociale.
  • Favoriser la création de collectifs et de démarches participatives et/ou citoyennes en lien avec l’action sociale de proximité, par la mise en place d’un fonds dédié.

 

8. Garantir l’accès au droit

Constat

Trop de personnes renoncent aujourd’hui à faire valoir leurs droits, notamment en matière d’aide et de soutien social, comme le démontrent plusieurs recherches récentes. L’exercice des droits sociaux n’est en effet pas une priorité pour le politique. Et la judiciarisation de l’action étatique rend les procédures extrêmement complexes, pour quiconque n’est pas coutumier de ce type de démarches. Il existe également un déficit de connaissance des prestations auxquelles on peut avoir droit, particulièrement chez les classes défavorisées. Enfin, il y a aussi et surtout la stigmatisation dans le discours politique ambiant des personnes bénéficiant de prestations sociales, avec un accent particulier mis sur les prétendus « abus ».

Toutes ces raisons font que les droits sociaux – qui nécessitent souvent des démarches prospectives complexes – ne sont paradoxalement pas réclamés ou utilisés, surtout chez les catégories de la population qui en auraient le plus besoin. Ceci est d’autant plus absurde que, nécessité aidant, tôt ou tard les personnes qui se fragiliseront bénéficieront de ces prestations, avec un coût proportionnellement plus élevé que si leur accès avait été garanti en amont !

Mesures proposées

  • Alléger au maximum les procédures administratives susceptibles de freiner l’accès au droit, par une simplification du langage administratif et par un renforcement de l’information sur les prestations sociales existantes, notamment auprès des publics les plus vulnérables.
  • Prévoir au sein des nouveaux centres d’action sociale, de santé et d’intégration (CAS) un dispositif de « guichets sociaux » d’information, d’orientation et de soutiens aux démarches d’accès aux prestations sociales (sur le modèle des « Maisons Citoyennes » au Portugal, ou des « Maisons du Droit » en France)

 

9. Renoncer aux coupes inutiles et renforcer les prestations fondamentales

Constat

Le Rapport sur la pauvreté du Conseil d’Etat le démontre : la précarité à Genève ne cesse de se développer. Or, depuis quelques années, des coupes – à vocations  spécifiques d’économies budgétaires – sont régulièrement mises en œuvre : diminution du forfait d’intégration dans l’aide sociale (2015), instauration d’une prime cantonale moyenne de référence d’assurance-maladie pour les bénéficiaires de la LIASI (2017) et prochainement, dans le cadre du budget 2018, suppression d’un palier de subsides d’assurance-maladie.

Ces coupes n’ont strictement aucun autre effet que d’offrir à l’Etat des économies de fonctionnement, mais elles ont un effet certain sur les personnes et les familles qui en sont les victimes ! On sait en outre que plusieurs prestations devraient encore être développées, ou bien tout simplement être repensées dans les montants disponibles, afin de garantir des conditions de vie dignes aux populations les plus touchées par la paupérisation. C’est notamment le cas pour les familles – et surtout les familles monoparentales – dont on sait qu’elles constituent la catégorie la plus à risque en matière de précarité.

Mesures proposées

  • Renoncer aux diminutions de prestations au titre de la LIASI.
  • Revoir le délai maximum de 36 mois du recouvrement des pensions alimentaires par le SCARPA.
  • Renforcer les soutiens financiers à la famille, par une péréquation des allocations familiales en fonction du revenu.
  • Renforcer les soutiens financiers destinés aux paiements des frais d’assurance-maladie.
  • Instaurer (en attendant le résultat des initiatives en cours) un soutien financier pour la prise en charge des soins dentaires, notamment pour les enfants.

 

10. Une économie genevoise tournée vers l’avenir

Constat

Les politiques de l’emploi, à Genève, peinent à se renouveler. On voit bien que les tendances actuelles à la « préférence cantonale » se heurtent à la réalité du marché du travail et aux accords de libre-échange supranationaux. De même, les politiques d’activation centrées sur l’employabilité des demandeurs d’emploi ont clairement montré leurs limites et, souvent, leur inefficacité. Ainsi, le taux de chômage n’a pas diminué ces dernières années alors que le nombre de personnes à l’aide sociale a fortement augmenté.

Aujourd’hui, il faut que notre économie se tourne vers l’avenir et permette à tout un chacun de gagner décemment sa vie. Il convient donc d’empoigner avec détermination la question de l’emploi et de la lutte contre le chômage, non plus seulement au niveau de l’individu, mais aussi auprès des entreprises. C’est pourquoi une démarche de concertation avec les entreprises est nécessaire afin d’instaurer des mesures incitatives à l’engagement et des  dispositifs légaux facilitant le retour à l’emploi.

Le Canton doit en outre jouer un rôle moteur dans des secteurs d’activités d’avenir, porteurs d’emplois et de cohésion sociale tels que les domaines de l’éducation, des soins et des services à la personne. Des investissements majeurs dans la formation des futurs professionnels dans les domaines susmentionnés permettront de prévenir des pénuries de personnel ainsi que de créer des dynamiques favorables à la création d’emplois.

Mesures proposées

  • Renforcer encore les dispositifs de lutte contre le travail au noir, notamment en termes de personnel affecté à cette mission (coordination employeurs-employés).
  • Revoir l’accord intercantonal sur les marchés publics (AIMP), afin de l’assouplir pour permettre une meilleure employabilité des chômeurs locaux.
  • Déduire intégralement les coûts de formation et d’insertion dans les soumissions pour les entreprises locales.
  • Offrir des avantages économiques/financiers temporaires aux secteurs d’activité qui concluent des conventions collectives de travail, qui étendent celle-ci, ou qui renforcent les avantages des salariés.
  • Soutenir activement la lutte contre la sous-enchère salariale en permettant de facturer au maître d’ouvrage les différences salariales constatées.
  • S’assurer du plein fonctionnement de la commission paritaire (employeurs-syndicats) pour le contrôle des chantiers.
  • Développer des projets porteurs d’emplois au sein du Canton et des entreprises de la région (notamment des services à la personne), en partenariat avec le monde associatif.

3 Comments

    C’est une excellente initiative que ce rapport que j’ai lu en diagonale car il est trop long et je me promets d’y revenir. Certains points sont importants, par exemple le manque d’incitations et d’aides à se former pour des chômeurs.
    J’ai néanmoins déjà relevé des contre-vérités qui vont dévaloriser votre effort. Dans l’introduction, vous écrivez: « On assiste au retrait de l’Etat social, lequel offre de moins en moins de prestations et voit les mailles du filet s’étirer » Or les medias ont récemment relevé une explosion des dépenses dans ce domaine !
    Autre point qui est vrai en général mais plutôt faux à Genève où je ne crois pas que beaucoup de personnes renoncent à demander des prestations complémentaires. Vous devriez vous référez à des données concernant notre canton. Je vous conseille de vous éloigner de l’idéologie chère au PS genevois et d’en rester à des faits précis
    Cordialement

    Interessantes vos reflexions cependant…

    Cessez, je vous prie, d’entretenir le mythe que la formation protege de la precarisation et de la pauvrete. Ce n’est plus vrai ces temps a Geneve. Je connais des tas de gens formes, universitaires egalement qui galerent.

    Je suis formee, j’ai exerce differents metiers, j’ai des competences, malheureusement j’ai souvent du accepter des CDD, les RH sont trop souvent tres desagreables parce que ça fait longtemps que je ne travaille plus :
    – Qu’avez-vous donc fait pendant cette annee de chomage ? ( ton de voix qui en rajoute)
    – Vous etes vraiment sure de savoir encore exercer cette fonction… ça fait longtemps…
    – Le contrat de travail comportera un an de periode d’essai … ( periode d’essai = 3 mois maximum selon la loi ?!)
    Et de fil en aiguille, on se fait humilier de maniere soft. Tres penible.

    Total, je suis a quelques pas de l’Hospice.

    Meilleures salutations.

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