• Home
  • Thierry Apothéloz dévoile ses projets pour la culture

Thierry Apothéloz dévoile ses projets pour la culture

30 juillet 2019 Thierry 0 Comments

Par Irène Languin, publié le 30 juin 2019
Image: Steeve Iuncker-Gomez

Le ministre définit les orientations stratégiques de sa politique culturelle dans un texte qui sera mis en consultation dès aujourd’hui. Une première dans l’histoire du canton.

Le document était pour le moins attendu. Vendredi, Thierry Apothéloz a adressé son Message sur la politique culturelle cantonale aux communes et aux divers milieux concernés. Intitulé «Genève Culture», ce texte de 37 pages demeure, pour l’heure, un avant-projet, puisqu’il est soumis à la consultation jusqu’au 30 septembre. Puis, les commentaires seront analysés et viendront, le cas échéant, nourrir le rapport, dont le Conseil d’État prendra acte de la version définitive à la fin de l’année.

Si la Confédération se livre à l’exercice depuis 2012, c’est la première fois qu’un tel message est établi à Genève. «Ce document fondateur est l’occasion de positionner le Département dans une vision affirmée et claire, souligne le magistrat à la barre du Département de la cohésion sociale (DCS). Je suis en contact avec les milieux culturels depuis mon entrée en fonction le 1er juin 2018: ils ont besoin d’un capitaine, d’un cap et d’un bateau.»

C’est l’initiative populaire 167 «Pour une politique culturelle cohérente à Genève» qui a propulsé Thierry Apothéloz dans la cabine de commandement. Accepté le 19 mai dernier par 83% des Genevois, le texte a en effet inscrit dans la Constitution une nouvelle gouvernance en matière de culture, assignant au Canton un rôle de coordinateur. Garant d’une vision d’ensemble, l’État doit fonder sa politique sur le cofinancement, tant pour la création artistique indépendante que pour les institutions, en collaboration avec la Ville et les communes et en consultant régulièrement les milieux culturels.

Dialogue culturel

Thierry Apothéloz a manifestement entendu ce besoin de concertation, dont il fait l’un de ses axes stratégiques forts. Son message instaure un Dialogue culturel genevois: le magistrat réunira son Office cantonal de la culture et du sport et les 45 communes deux fois par an. «Je vais coordonner des actions, pas des théories. Chaque commune ou groupe de communes devra donc produire un concept culturel, explique-t-il. Si l’une d’entre elles souhaite un nouveau théâtre, par exemple, on va questionner ensemble la pertinence du projet pour répondre aux besoins.»

Outre ces discussions semestrielles, le rapport préconise la reprise d’échanges réguliers entre Ville et Canton, dans l’esprit de la déclaration conjointe du 30 octobre 2013 qui affirmait la détermination des autorités à collaborer pour mettre en œuvre la loi sur la culture, entrée en vigueur la même année. De plus, le Conseil consultatif de la culture, organe représentatif des acteurs culturels, est confirmé dans son rôle d’observatoire et ses missions. Les quatre autres axes stratégiques qui tiennent à cœur au magistrat sont l’égalité hommes femmes dans l’activité culturelle, la mise en valeur et le soutien des artistes genevois dans la francophonie, l’accès à la culture pour différents publics (jeunes, personnes migrantes ou handicapées) et enfin, le statut des artistes (lire ci-dessous).

À l’État la Cité de la musique

La proposition est faite sans ambages: le fonctionnement de la future Cité de la musique «devrait être inscrit au budget cantonal» et sa gouvernance confiée à l’État. Idem pour l’OSR (Orchestre de la Suisse romande), que l’institution hébergera. «On s’occupe de la Haute École de musique, il me paraît cohérent de gérer l’ensemble du dispositif», justifie Thierry Apothéloz.

Politique faîtière du livre

Le deuxième domaine que l’élu entend développer est celui du livre. De fait, il s’agit déjà d’une mission exclusive du Canton depuis le 1er janvier 2017, date de l’entrée en vigueur de la loi sur la répartition des tâches en matière de culture (LRT-2). Cependant, deux points sont à relever. D’abord, la velléité de reprendre les discussions avec la Ville au sujet de la Bibliothèque de Genève (BGE) avec l’objectif de constituer une fondation de droit public: «Le Canton est dépositaire des Archives d’État, la BGE est chargée du plus vieux dépôt légal d’Europe, ça ferait sens de rapprocher ces institutions.» La création, ensuite, d’un musée de la bande dessinée destiné à valoriser la riche histoire genevoise du neuvième art et à rendre visible la création actuelle.

Renforcer la danse

Arguant du fait que Genève est un «phare de la danse contemporaine», la feuille de route prône la création d’une Maison de la danse au sein du futur Centre culturel de Châtelaine, «compte tenu du fait que le Pavillon de la danse de la Ville de Genève, à la place Sturm, devra à terme être déplacé». Elle pourrait notamment accueillir l’administration, une salle de répétition et le CFC danse. «Maison et Pavillon se développeront en parallèle», assure le ministre.

Les grandes institutions

Beaucoup attendaient le positionnement de Thierry Apothéloz au sujet des grandes institutions existantes. À commencer par son homologue à la Ville, Sami Kanaan, qui espérait récemment dans les colonnes du «Temps» que le Canton se profile en partenaire dans la gestion de la Comédie et du Grand Théâtre. Toutefois, l’offre étatique se limite à une participation financière à la troupe de la Comédie ainsi qu’au Ballet du Grand Théâtre, «au titre de la diffusion et du rayonnement». Concernant le MAH (Musée d’art et d’histoire), il est prévu de céder à la Ville le bâtiment de l’École des beaux-arts, comme contribution au projet d’extension du musée.

Combien ça coûte?

Le Canton dispose actuellement d’un budget annuel de 34 millions de francs pour la culture. Le rapport évalue l’ajout de ces nouvelles politiques publiques à 18 430 000 francs sur plus de quatre ans. Cette somme est répartie en deux enveloppes, l’une pour les frais d’investissement, l’autre pour les frais de fonctionnement, pour l’heure sans plus de détails. Ce montant, fort modeste relativement au budget global du Canton (plus de 8 milliards de francs) ou aux moyens que la Ville voue à la culture (presque 260 millions) doit encore être accepté par le Conseil d’État, puis soumis au parlement. Autant dire que la route est longue.


«Cette feuille de route crée l’opportunité d’enterrer la hache de guerre»

Communes et associations ont trois mois pour formuler leurs remarques. Thierry Apothéloz rappelle que les révolutions ne se font pas en un jour. Il s’attend à «beaucoup de propositions».

L’IN 167 insistait fortement sur la notion de cofinancement. Comment l’interprétez-vous? Mon engagement est assumé, mais j’admets que ça va prendre du temps. J’envisage deux chemins. La participation à la diffusion des œuvres, d’abord, par le soutien au Ballet du Grand Théâtre et à la troupe de la Comédie; ensuite, il faudra admettre qu’une partie de la subvention municipale soit transférée au canton via la LRT pour assurer ce cofinancement.

Allez-vous revoir cette loi? L’initiative m’y oblige! La LRT a ceci de positif qu’elle octroie au canton la compétence exclusive dans le domaine de la diffusion et du livre. Toutefois, la séparation stricte qu’elle opère entre diffusion et création est à améliorer. Cela nécessitera des modifications législatives que je porterai devant le Grand Conseil. Il faudra aussi réviser ou préciser la loi sur la culture.

Votre texte n’évoque presque pas le soutien à la création, revendication cardinale des initiants. Pourquoi? J’indique que je veux y travailler avec le Conseil consultatif de la culture. Il faut définir ensemble quel est le périmètre de la création et comment remettre les choses en commun: doit-on, par exemple, fusionner les fonds cantonaux et communaux? Je n’impose pas, à dessein. Je veux susciter le dialogue et me laisser le temps de trouver un chemin.

La Ville attendait un engagement financier fort dans la Comédie… Je rappelle que le Canton a participé pour 45 millions de francs à l’investissement. La gestion de la Comédie relève de la compétence municipale. La part de cofinancement cantonal s’incarnera dans un soutien à la diffusion pour la troupe.

Genève ne manque pas de grands projets. Pourquoi créer un musée de la BD, alors que l’argent manque ailleurs? Ce projet s’inscrit dans mon souci de valoriser le patrimoine: Genève est le berceau mondial de la bande dessinée. Il n’existe pas d’autres musées dédiés en Romandie. J’en appelle à la cohérence: la BGE détient les archives personnelles de Rodolphe Töpffer et la première volée de l’école supérieure de bande dessinée et d’illustration vient d’achever son cursus. Un centre dédié au neuvième art favorisera le rayonnement culturel du canton et aura un impact certain pour le tourisme.

Vous souhaitez améliorer le statut des artistes. Comment? Souvent, on ne prend pas en compte le travail de création d’une œuvre, ça doit changer. Je veux aussi avancer sur la question de la rémunération des artistes. Les pouvoirs publics doivent prendre prioritairement en compte les demandes d’organes culturels dont il est démontré qu’ils rétribuent convenablement les artistes et s’acquittent de leurs cotisations sociales. Enfin, il est nécessaire d’instituer la LPP pour ceux qui n’en ont pas et la stabiliser pour ceux qui en bénéficient déjà.

Certains vous reprocheront sans doute un manque d’ambition. Que leur direz-vous? Ce message prend en compte la dimension collective de la gouvernance. Il s’attache à la reconnaissance et à la valorisation de l’activité créative et crée l’opportunité d’enterrer la hache de guerre au niveau institutionnel. L’élaboration de solutions se fera dans un esprit de coconstruction plutôt que de conflit. Les milieux culturels ont besoin de cohérence et de sécurité: cela passe aussi par l’amélioration du statut des artistes et la capacité que nous avons à innover. Les millions que je propose sont-ils suffisants? Peut-être pas, mais c’est un début. Je pense que les gens peuvent entendre ça s’ils voient qu’un capitaine tient la barre.

leave a comment