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La pauvreté n’est pas que dans le porte-monnaie

24 novembre 2015 Thierry 0 Comments

Pourquoi la pauvreté reste-t-elle cachée derrière le paravent de l’opulence helvétique? Pourquoi n’est-elle pas un sujet majeur du débat politique? Combien y a-t-il réellement de personnes pauvres en Suisse et quelle est la réalité de leur vie quotidienne?

Ce sont les questions auxquelles a tenté de répondre cette série d’émission sur la radio RTS La première La pauvreté en Suisse: cachée, honteuse et sous-évaluée.

Selon des statistiques publiées fin juin 2015, un quart des ménages de Suisse (25.2%) a un revenu inférieur au seuil de pauvreté, à savoir 25’200 francs par an pour une personne seule. Cette information est passée presque inaperçue alors que la médaille d’or de la compétitivité décernée à la Suisse, début septembre, par le World Economic Forum a fait la une d’un grand nombre de médias.

Vous trouverez ci-dessous l’ensemble de mon intervention dans cette émission qui portait sur la rénovation profonde que nous avons récemment finalisé aux Libellules:

Les habitants ont appelé à l’aide: nous avons agi avec eux

La dégradation progressive du quartier des Libellules s’est manifestée par des appels des habitants qui demandaient à l’aide. Ils avouaient être confrontés à des comportements humains qu’ils n’arrivaient plus à gérer seuls. La Ville de Vernier a décidé de lancer un processus participatif. Une association des habitant-e-s du quartier des Libellules a alors vu le jour à cette occasion.

La population du quartier s’est précarisée au fil de la crise économique et à cause d’un filet social qui s’est détendu à Genève. La situation des villes où 82% des Genevois habitent s’est dégradée. Les personnes sans formation avaient accès jusqu’ici à des petits boulots, par leurs connaissances et des patrons qui acceptaient de les embaucher.

Cela n’existe plus aujourd’hui.

Aujourd’hui, c’est le rendement économique qui compte. Sans formation, il devient quasiment impossible aujourd’hui de trouver du travail. Plus il y a de compétitivité, plus il y a aujourd’hui des risque de tomber dans la pauvreté. Indépendamment de la formation suivie ou non.

Le service public: la clé pour sortir les quartiers d’une spirale infernale

Dans les quartiers populaires, nous devons faire en sorte de ne pas créer un sentiment d’abandon. Au Libellules, il n’y avait pas de commerces, pas d’infrastructures publiques. Ma conclusion était rapide: nous devions mettre du service public à disposition des habitantes et des habitants, faire en sorte qu’il y ait de l’animation, de redynamiser la population vivant ici, de trouver des convergence et des visions partagées de projets collectifs.

C’est dans cet esprit que nous avons entamé les travaux

Des édicules et une rue, pour recréer de l’espace public

Des édicules ont été imaginés au pied de l’immeuble. Parmi ces édicules, on a créé un jardin d’enfants mais pas seulement. On a demandé aux enfants de l’école des Libellules  de travailler autour de la réponse à un besoin du quartier. Ils ont imaginé une ludothèque. La Ville de Vernier l’a concretisée, à dix mètres des allées des Libellules. Nous avons engagé une professionnelle, encadrée par des bénévoles et un comité. Il y a de larges baies vitrées. Les habitant-e-s voient ce qui se passe à l’intérieur. Ils voient que c’est à leur disposition, que ce n’est pas quelque chose de calfeutré dans lequel ils ne s’autoriseraient pas à aller.

Des lieux de vie pour 500 logements et 1200 habitants

Chaque immeuble dispose d’un ou plusieurs lieux de vie. Les espaces de vie ont fait l’objet d’une journée de travail avec les habitantes et les habitants. La démocratie participative a été poussée jusqu’au bout. 10 lieux de vie ont été proposés. On leur a demandé: Qu’est ce que vous avez envie d’en faire? Quels sont vos rêves? Le 8 mars 2014, des propositions et des idées ont alors émergé, mais aussi les responsabilités qui vont avec.

Dans l’exemple de la salle informatique, un habitant se charge des heures d’ouverture, soit le mardi de 8h à 12h, le vendredi de 16h à 19h, et le samedi de 9h à 12h. La salle informatique est par exemple revenue à plusieurs reprises dans les discussions et un groupe de bénévoles s’est mis en place. Les gens viennent désormais vérifier leurs emails, faire une recherche de travail. La connexion internet est gratuite et les bénévoles donnent un coup de main aux personnes qui viennent. D’autres espaces ont été destinés à un lieu de rencontre pour les jeunes, à une salle de répétition de musique, à des salles communes pour les anniversaires, etc.

La pauvreté ne se lit pas qu’à travers le porte-monnaie

La pauvreté ne peut pas se lire uniquement à travers ce que l’on a dans le porte-monnaie. Elle a une définition bien plus large que cela. On peut avoir quelques sous, mais vivre dans l’isolement au quotidien. Aujourd’hui, si la Ville de Vernier a la volonté de proposer cette palette d’activités, c’est pour répondre au besoin de vivre en communauté, d’améliorer le vivre ensemble. L’aide sociale existe à Genève, elle est certes basse, mais elle a le mérite d’exister. La pauvreté ce n’est pas pas seulement être à l’aide sociale, c’est aussi la pauvreté des liens, la pauvreté de la culture, la pauvreté de la solitude.

C’est autour de ces éléments que nous voulions travailler aux Libellules. Les espace de vie, comme les édicules ou les aménagements extérieurs, répondent à cette situation, mais aussi le fait d’avoir renforcé les correspondants de nuit (médiateurs sociaux) qui interviennent tous les jours de l’année dans les quartiers de Vernier (de 18h à 2h du matin), et de travailler sur la médiation et la sécurité. Comment fait un-e habitant-e à 23h30 quand il y a des gens en bas de chez elle-lui qui font du bruit? Au lieu d’appeler la police qui peut venir bien trop tard, ils peuvent appeler les correspondants de nuit du quartier pour faire de la médiation sociale. Quelles activités proposer aux enfants? Il y a la Maison de Quartier, la Ludothèque ou le Centre de quartier. Comment diminuer la solitude des seniors? Il y a le club des aînés.

Les besoins sont multiples et il convient d’y répondre et de ne pas abandonner les habitantes et les habitants à ces questions dans leur quotidien.

Etre volontariste et éviter le sentiment d’abandon dans les quartiers

Vernier n’est pas une commune riche. Pour autant, ces politiques pro-actives doivent être des priorités. Il faut des politiques volontaristes et faire faire en sorte qu’il n’y ait jamais de sentiment d’abandon. Avec les contrats de quartier, les correspondants de nuit, les délégations Emploi, Jeunesse ou Seniors, ces activités ont un coût, mais moindre par rapport à l’action nécessaire si l’on ne faisait rien.

Aujourd’hui, certains ne mesurent pas suffisamment ce que la cohésion sociale garantit comme économie par rapport à des politiques sécuritaires bien plus coûteuses.

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